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L’USCOQUE.

l’enfer ! s’écria Orio ; viens dans mes bras, ô toi qui m’as deux fois sauvé !

Mais Orio oublia de serrer Naam dans ses bras : une idée subite venait de glacer l’élan de sa reconnaissance…

— Naam ! lui dit-il après quelques instans de silence durant lesquels elle le contempla avec une inquiétude farouche, vous avez fait une insigne folie, un crime gratuit.

— Comment dis-tu ? répondit Naam de plus en plus sombre.

— Je dis que vous avez pris sur vous de faire une action dont toutes les conséquences vont retomber sur moi ! Ezzelin assassiné, on ne manquera pas de m’accuser. Ce meurtre sera l’aveu de tous les torts qu’il m’impute et qu’il a déjà racontés à sa tante et à sa sœur. Puis j’aurai un assassinat de plus sur le corps, et je ne vois pas comment ce surcroît d’embarras peut me soulager. Que la foudre du ciel t’écrase, misérable bête féroce ! Tu étais si pressée de boire le sang, que tu ne m’as seulement pas consulté.

Naam reçut cet outrage avec un calme apparent qui enhardit Soranzo.

— Vous m’aviez dit de chercher un assassin, dit-elle, un homme sûr et discret, qui ne connût point la main qui le faisait agir ou qui, pour de l’argent, gardât le silence. J’ai fait mieux, j’ai trouvé quelqu’un qui ne veut d’autre récompense que de vous voir délivré de vos ennemis, quelqu’un qui a su frapper ferme et avec prudence, quelqu’un que vous ne pouvez pas craindre et qui se livrera de lui-même aux lois de votre pays, si on vous accuse.

— Je l’espère, dit Orio. Vous voudrez bien vous rappeler que je ne vous ai rien commandé, car vous en avez menti, je ne vous ai rien commandé du tout.

— Menti ! moi, menti ! dit Naam d’une voix tremblante.

— Menti par la gorge ! menti comme un chien ! s’écria Orio dans un accès de fureur grossière, mouvement d’irritation toute maladive et qu’il ne pouvait réprimer, quoique peut-être il sentît bien au fond de lui-même que ce n’était pas le moment de s’y livrer.

— C’est vous qui mentez, reprit Naam d’un ton méprisant, et en croisant ses bras sur sa poitrine. J’ai commis pour vous des crimes que je déteste, puisqu’il vous plaît d’appeler ainsi les actes qu’on fait pour vous lorsqu’ils ne vous semblent plus utiles ; et quant à moi, je hais le sang et j’ai subi l’esclavage chez les Turcs sans songer à faire ce que j’ai fait ensuite pour vous sauver.

— Dites que c’était pour vous sauver vous-même, s’écria Orio, et