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J’aimerais mieux encor qu’il déclinât son nom,
Et dît : Je suis Oreste ou bien Agamemnon.

Si, dans quelques prologues d’Euripide, le personnage qui expose le sujet se désigne ainsi lui-même, c’est un moyen extraordinaire employé pour rappeler au spectateur les évènemens de l’avant-scène, c’est une préface parlée, et voilà tout. Du reste, rien de pareil ne se reproduit dans le courant de l’action, tandis que, dans les pièces chinoises, cette répétition a lieu plusieurs fois pour chaque rôle. Il faut, pour trouver quelque chose d’approchant, descendre jusqu’aux mystères du moyen-âge, et encore une telle désignation de l’histoire, du caractère, des projets d’un personnage par lui-même, est loin d’y être aussi habituelle et aussi imperturbablement monotone. Cette circonstance seule montre que l’art de la contexture dramatique en est encore à un degré de simplicité tout élémentaire : ce qui n’empêche point qu’on ne trouve, surtout dans la partie chantée, des recherches poétiques qui semblent appartenir à une époque avancée du drame. C’est le propre des Chinois en toute chose d’en être restés au terme promptement atteint d’un développement très ancien, et en même temps de raffiner laborieusement et bizarrement sur ce fond primitif. Il en est ainsi de leur écriture, de leur morale, de toute leur littérature ; c’est toujours sur un motif très simple une variation très compliquée. On retrouve, dans tout ce qu’ils font, le contourné à côté du naïf, le vieillard à côté de l’enfant.

Sous un rapport, l’âge de la scène chinoise correspond à celui de la scène anglaise au temps où parut Shakspeare. M. G. de Schlegel assure que les pièces de Shakspeare furent jouées sans décoration. Dans Macbeth, pour indiquer la présence d’une forêt, on se servait d’une planche sur laquelle était écrit le mot forêt ; et à côté de cette pauvreté, ou plutôt de cette absence de décorations, les costumes, s’ils n’étaient bien exacts, étaient variés et splendides. Il paraît qu’il en est de même en Chine. Nous n’y voyons rien qui ressemble à des coulisses. Selon M. Davis, quand il s’agit d’escalader un rempart, trois soldats se couchent l’un sur l’autre pour figurer un rempart ; et d’un autre côté, plusieurs voyageurs, entre autres l’ambassadeur russe Branden Yves, en 1632, ont été très frappés de la richesse des costumes. Cette combinaison n’est peut-être pas aussi défavorable qu’il semble à l’art et au plaisir dramatique ; l’imagination s’arrange assez bien de cette absence de réalité matérielle, qui la gêne et la distrait peut-