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le Mexique lui-même ; et pour moi, je ne vois pas d’humiliation à reconnaître que la supériorité de sa marine, et l’idée qu’on se fait généralement de sa puissance, dans des pays où son pavillon se montre fort souvent, où son commerce est immense, ont beaucoup contribué à terminer ces différends sans blocus, sans guerre déclarée. Mais on n’en a pas moins éprouvé, en Angleterre, combien la mauvaise foi, l’outrecuidance, la faiblesse des gouvernemens américains, multiplient les difficultés dans tous les rapports que l’Europe entretient avec eux. Aussi est-on obligé de prendre, avec ces gouvernemens, des précautions fort extraordinaires pour l’exécution des engagemens qu’ils contractent. L’Angleterre en sait quelque chose relativement à la dette colombienne. Par exemple, et c’est le discours de lord Strangford qui me fournit ce fait, le gouvernement de Mexico, incapable de garantir autrement le paiement régulier de ce qu’il doit à l’Angleterre, abandonne à cette puissance un sixième des droits de douane. Je ne blâme pas l’Angleterre d’avoir fait cet arrangement ; mais je soutiens qu’il dénote, de sa part, très peu de confiance dans la bonne foi de son débiteur. Et puis, entre nous, monsieur, on connaît à l’Angleterre un certain appétit de possessions lointaines, d’établissemens et de points de relâche dans toutes les mers du globe, que les républiques américaines, si aveugles qu’elles soient, ne se soucient pas d’exciter par des dénis de justice trop prolongés. Le duc de Wellington, dans un discours moins aigre que celui de lord Strangford, et pourtant assez injuste aussi, s’est glorifié d’avoir terminé, pendant son dernier ministère, une affaire très grave avec le Mexique, par des procédés tout différens des nôtres. Je l’en félicite sincèrement, car la chose en vaut la peine. Mais je me rappelle avoir entendu dire qu’à cette époque on insinua au gouvernement mexicain que l’Angleterre jetait depuis long-temps un regard de convoitise sur la province du Yucatan[1], et que, si on la poussait à bout, elle pourrait bien se dédommager, par cette facile conquête, de toutes les pertes que le Mexique lui avait fait subir. Je n’oserais affirmer qu’il y ait eu projet sérieux d’occuper le Yucatan ; ce dont je suis certain, c’est que le Mexique a pu le craindre, et je puis ajouter, avec la même certitude, que le Chili et le Brésil ont ressenti à plusieurs reprises des inquiétudes analogues. Je vous ai dit ailleurs ce qui était advenu des Malouines, et je vous laisse à penser quel effet doivent produire de pareilles appréhensions sur des gouvernemens d’une extrême faiblesse, quand on voit que l’Angleterre obéit à un besoin réel, en procurant ainsi à son immense navigation des avantages et une sécurité que le commerce maritime a poursuivis de tout temps. La France, qui semble aujourd’hui accomplir systématiquement, de ses propres mains, la destruction de ses dernières colonies, n’inspire assurément,

  1. On sait que les Anglais ont un établissement à Balize, entre le Yucatan et le Guatemala. Quant à leurs vues antérieures sur ce littoral, il est bon de se rappeler qu’ils se sont emparés, en 1780, de la place de San Fernando d’Omoa, et qu’ils ont occupé l’île de Roatan, sur la côte de Honduras, de 1642 à 1650, de 1742 à 1780, et de 1796 à 1797.