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l’abolition de la traite, devenue aussi urgente en 1818 que le devient aujourd’hui l’abolition de l’esclavage[1].

Cette dernière mesure, conséquence naturelle de la première, sera plus lente à venir peut-être, d’abord parce qu’elle est plus hasardeuse, ensuite parce qu’on s’y met plus tard qu’on n’aurait dû. Mais, dès ce jour, il y aurait moyen de concourir au succès pacifique d’une révolution irrévocable, par un acte de justice qui serait aisément formulé en deux ou trois articles de loi, si le ministère le voulait ; il s’agirait d’améliorer pour nos colonies les conditions du pacte commercial qui les enchaîne à la métropole. M. Duchâtel, il faut en rendre grace à lui et à son parti, mais sans doute à lui plus qu’à personne, avait songé, pendant son dernier ministère, à faire, dans ce sens libéral, quelque chose qui n’était encore qu’une bien faible réparation de beaucoup de mal produit par une législation inique. Son ouvrage, à peine indiqué, a été détruit pièce à pièce, sous son successeur, par les chambres que l’on n’a pas su ou voulu contenir. D’un débat confus, où nous avons vu triompher par le nombre les orateurs de comices agricoles, les enthousiastes adorateurs de la betterave et de ses prétendues merveilles (pauvres politiques qui mettent la suppression de quelques jachères et la prospérité temporaire d’une douzaine de départemens agricoles au-dessus de toute considération de grandeur, d’équité, d’humanité), il est sorti une loi qui consommera la ruine des colonies en deux ans, si l’on n’y prend garde. Et qu’on ne s’imagine pas qu’à la veille d’une immense rénovation dans le système intérieur des colonies, il soit indifférent de réduire à la misère et au désespoir ceux qui en possèdent le sol. Les noirs ne sont pas les seuls qu’il faille d’avance préparer à cette singulière épreuve d’une liberté générale ; on doit s’inquiéter aussi des blancs qui auront à la subir, et leur disposition d’esprit, si elle était un peu plus favorable, ne serait pas, ce nous semble, un élément de succès qu’il fût permis de dédaigner. Pourquoi donc les aigrir en fermant le débouché nécessaire à leur production actuelle, quand on sait que, dans peu d’années, on sera forcé de changer la base de leur fortune par la substitution du travail libre au travail des esclaves ? Alors il y aura crise sociale, mais par la force des choses, et les colons se résigneraient plus volontiers

  1. L’abolition de la traite avait bien été décidée en principe par le traité de Paris du 30 mai 1814 et par l’acte du congrès de Vienne du 9 juin 1815 ; mais il restait à s’entendre sur l’époque où chaque gouvernement appliquerait le principe et terminerait, comme on dit aujourd’hui, cette question. C’est ce qui eut lieu en 1818, M. le comte Molé étant ministre de la marine.