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PROMÉTHÉE.

saisissante et plus idéale. Je me rappelais que le Christ, descendu de son tombeau dans les limbes, remonta triomphant au ciel, ramenant dans le sein de son père, Abraham, Isaac et tous les patriarches. J’espérais quelque chose d’aussi merveilleux pour la glorification de celui qui, dans la pensée du poète, fut le martyr anticipé de la foi nouvelle. J’aurais trouvé digne du fils de Dieu, que l’air, agité par ses ailes invisibles, quand il remonte au ciel, eût suffi pour faire tomber les chaînes du prisonnier, et le porter dans le séjour céleste, à la suite des saints de l’Ancien et du Nouveau Testament. Cette scène semblait indiquée par la tradition.

Au reste, la délivrance de Prométhée par la vertu du Christ n’est pas le sujet unique de la troisième partie du drame de M. Quinet. On a vu, dès le début du poème, Prométhée apparaître comme l’emblème de l’activité sociale et religieuse de l’ame humaine. Aucun personnage ne se prêtait donc mieux que lui à l’expression des sentimens d’attente, de curiosité, d’espérances prématurées et de découragemens mortels dans lesquels le temps présent est enchaîné. Le poète a indiqué avec beaucoup de talent et, à la fois, de réserve, que le ciel chrétien, où est reçu Prométhée, n’est encore pour lui qu’un lieu de transition et comme une halte sublime. Sa blessure inguérissable reste toujours saignante. On devine qu’il laissera bientôt échapper de nouveaux souhaits, de nouveaux blasphèmes ; que sa chaîne sera bientôt rivée à un autre Caucase ; qu’il aura besoin d’un nouveau rédempteur, et que, délié encore, il atteindra un autre ciel.

Toute cette partie de l’œuvre de M. Quinet est fort belle. J’aurais voulu seulement que, pour mieux caractériser cette renaissance incessante de l’esprit de doute et de progrès, M. Quinet n’eût pas permis, comme il l’a fait, à l’archange Michel de percer mortellement d’une flèche l’oiseau fatal ; j’aurais voulu, au contraire, qu’au moment de la délivrance, l’éternel vautour fût remonté lentement dans la nue, instrument futur d’une punition nouvelle, certaine, inévitable ; condition nécessaire d’un nouvel effort, d’un nouveau progrès.

On trouvera vraisemblablement que, dans la partie du poème qui regarde vers l’avenir, l’auteur a été d’une brièveté extrême ; on regrettera qu’il n’ait fait luire sur sa pensée que de courts éclairs, et n’ait pas essayé de la faire briller dans les demi-teintes d’un grand symbole. M. Quinet a prévu ces regrets et semble aller au-devant dans sa préface : « Toutes les fois, dit-il, que le poète, le sculpteur ou le peintre, ont exprimé ce qu’on appelle aujourd’hui des pensées d’ave-