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cicatrise ; le sourire, plus tard, à ses yeux est encore revenu. Pourtant, on l’a vu depuis, en chaque circonstance décisive, se méfier après le premier moment, et, malgré sa bonne contenance, n’être pas fâché d’abréger. Il n’a pas tout-à-fait tenu ni dû tenir ce qu’il écrivait à Mme de Lafayette (30 octobre 1799) : « Quant à moi, chère Adrienne, que vous voyez avec effroi prêt à rentrer dans la carrière publique, je vous proteste que je suis peu sensible à beaucoup de jouissances dont je fis autrefois trop de cas. Les besoins de mon ame sont les mêmes, mais ont pris un caractère plus sérieux, plus indépendant des coopérateurs et du public dont j’apprécie mieux les suffrages. Terminer la révolution à l’avantage de l’humanité, influer sur des mesures utiles à mes contemporains et à la postérité, rétablir la doctrine de la liberté, consacrer mes regrets, fermer des blessures, rendre hommage aux martyrs de la bonne cause, seraient pour moi des jouissances qui dilateraient encore mon cœur ; mais je suis plus dégoûté que jamais, je le suis invinciblement de prendre racine dans les affaires publiques ; je n’y entrerais que pour un coup de collier, comme on dit, et rien, rien au monde, je vous le jure sur mon honneur, par ma tendresse pour vous, et par les mânes de ce que nous pleurons, ne me persuadera de renoncer au plan de retraite que je me suis formé et dans lequel nous passerons tranquillement le reste de notre vie. » Mais il semble s’être toujours souvenu de ces paroles et ne s’être jamais trop départi du sentiment qu’il exprime. Si l’on excepte, en effet, sa longue campagne politique sous la restauration, durant laquelle il combattit à son rang d’opposition avancée, comme c’était le devoir de tous les amis des libertés publiques, il ne parut jamais en tête et hors de ligne que pour un coup de collier. Et alors, comme on l’a vu en 1830, il avait une hâte extrême de se décharger : Qu’on en finisse, et que les droits de l’humanité soient saufs ! — C’est ainsi que son expérience acquise se concilia du mieux qu’elle put avec son inaltérable faculté d’espérer et avec sa foi morale et sociale persistante.

On trouvera dans la lettre à M. de Maubourg, dont je ne saurais assez signaler l’intérêt et l’importance, l’arrière-pensée finale de Lafayette (si je l’ose appeler ainsi), et l’explication de son prenez-y-garde dans ces momens décisifs où, plus tard, il s’est trouvé à portée de tout. Cette lettre démontre de plus, à mes yeux, que ce qui arriva, à partir du 8 août 1830, ne déjoua pas l’idée intérieure de Lafayette autant que lui-même le crut et le ressentit. Il écrivait en 1799 : « Les uns espèrent que la persécution m’aura un peu aristocratisé ;