Page:Revue des Deux Mondes - 1838 - tome 15.djvu/291

Cette page a été validée par deux contributeurs.
287
AFFAIRES D’ORIENT.

Cependant, il faut se garder des illusions que pourrait faire naître un pareil état de choses. La paix dont nous jouissons est une paix fragile, parce que nous sommes dans des conditions qui, pour s’être maintenues depuis vingt-trois ans, n’en sont pas moins violentes et transitoires. Il ne faut qu’ouvrir les yeux et feuilleter le livre de l’histoire pour se convaincre que tout n’est pas à sa place, et que, sur beaucoup de points, la tyrannie du fait tient la place du droit. L’Europe nous montre des souffrances qui, pour n’appartenir qu’à l’ordre moral, n’en sont pas moins très douloureuses pour des nationalités entières, des ambitions impatientes de renverser les digues qui les contiennent, des intérêts nouveaux enfin qui tendent à se développer et à prendre la place d’intérêts anciens et surannés.

Au nombre des questions qui tiennent en suspens l’avenir du vieux monde et rendent la paix si précaire, il en est une immense qui touche à tous les intérêts européens, et dont la solution, vague encore et obscure, préoccupe vivement toutes les intelligences sérieuses ; c’est la question d’Orient. Elle est si vaste, elle se présente sous des aspects si divers, que son étude complète exigerait des travaux qui sortiraient des limites que nous nous sommes tracées. Nous ne prétendons l’examiner que sous un point de vue partiel. Quel rôle serait réservé aux grandes puissances de l’Occident et particulièrement à la France dans une crise d’Orient ? tel est l’objet de ce travail.

L’Europe assiste depuis un siècle à un double spectacle digne, à tous égards, d’intéresser au plus haut point sa pensée : d’une part, la décadence progressive de l’empire ottoman ; de l’autre, le développement de la Russie qui s’élève chaque jour sur ses ruines. Cette dernière puissance commence à recueillir le fruit de son opiniâtreté dans ses vues ambitieuses et de son audace, mêlée d’une extrême habileté, dans leur exécution. Avant la guerre de 1828, la Turquie ne comptait déjà plus comme une force vive, comme un des élémens du système européen. Sa condition était celle d’un terrain vacant et comme en friche, auquel tous ses voisins semblaient convenus de ne point toucher de peur d’être obligés d’en faire un champ de bataille. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Depuis la paix d’Andrinople, la situation de la Porte s’est encore détériorée ; elle est passée à cet état d’assujétissement qui semble, pour les empires, la dernière phase de leur existence. Ses deux dernières guerres, l’une avec la Russie, l’autre avec Méhémet-Ali, ont arrêté, dans son essor, la nouvelle organisation de ses armées et rendu par là comme impossible sa régénération militaire : elles l’ont ainsi presque désarmée, lorsque