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REVUE DES DEUX MONDES.

Dans ce moment quelques gouttes de sang teignirent l’eau dans le voisinage du nautile.

— Garde à vous ! cria Mac-Dougal d’une voix tonnante, la chair est entamée et la bête est chatouilleuse.

Il n’avait pas encore achevé quand le nautile, sortant tout entier de l’eau, décrivit en fureur un double cercle et descendit au fond de la mer plus rapide qu’un boulet qu’on laisserait tomber du pont d’un navire. Quand il eut pris une vingtaine de toises de câble, il s’arrêta.

— Il a touché le fond et il se roule sur le sable pour se débarrasser du harpon, nous dit Mac-Dougal ; tant mieux, il sera plus tôt à nous.

En effet, au bout de quelques minutes, le nautile reparut à la surface de l’eau, épuisé et comme assoupi.

— Le drôle fait le mort, mais ce n’est pas là sa dernière promenade.

Mac-Dougal ne se trompait pas, car le poisson que nous traînions à la remorque, plongea et replongea plusieurs fois avant que nous eussions pris terre dans une petite baie de la côte de Morvern ; mais d’instans en instans ses mouvemens perdaient de leur violence, et, quand nous jetâmes l’ancre, il était épuisé par la perte de son sang, et nos pêcheurs n’eurent pas de peine à le traîner sur le sable où bientôt tout mouvement cessa. Alors le côté pittoresque de la pêche fit place au côté matériel, et la besogne la plus horrible commença. Nos pêcheurs, presque nus, armés de haches, se mirent à charpenter le malheureux animal qui s’agitait convulsivement, comme des bûcherons qui équarrissent un tronc d’arbre qu’ils viennent d’abattre. Ils l’eurent bientôt ouvert dans toute sa longueur, et, quand la bête fut démolie, ils arrachèrent ses entrailles et son foie chargé de graisse, qu’ils portèrent, par morceaux de soixante à cent livres, au fond de cale de la barque. Mac-Dougal, dégouttant de sang, de graisse et de fange, se frottait les mains joyeusement.

— La journée est bonne, disait-il, nous tirerons bien six barils d’huile du foie de la bête : c’est 12 livres de gagnées.

Ce travail repoussant dura plus de deux grandes heures au bout desquelles on laissa sur la plage le poisson éventré et vidé, mais qui cependant vivait encore, comme on pouvait en juger par de petits mouvemens convulsifs de la queue.

— Les pauvres gens de la côte, les chiens et les oiseaux de Morvern, vont faire de bons repas pendant une semaine avec ce que nous laissons là, dit Mac-Dougal en abandonnant avec un véritable regret les énormes débris du poisson ; mais la marchandise est trop abondante, et d’ailleurs il n’y a que le foie du basking-shark qui vaille quelque chose.

Au bout d’une demi-heure, nos hommes, ayant changé de vêtemens, étaient redevenus propres comme des matelots endimanchés, et nous voguions gaiement vers Aros.

J’avais profité de notre relâche sur la côte de Morvern pour visiter les ruines