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son adversaire. Giovanna fit un cri, et aussitôt le chien s’arrêta et revint vers elle avec soumission, tandis que l’esclave, remettant son yataghan dans un fourreau d’or chargé de pierreries, fléchit le genou devant sa maîtresse. — Voyez ! dit Giovanna à Ezzelin, depuis que cet esclave a pris auprès d’Orio la place de son chien fidèle, Sirius le hait tellement que je tremble pour lui, car ce jeune homme est toujours armé, et je n’ai point d’ordres à lui donner. Il me témoigne du respect et même de l’affection, mais il n’obéit qu’à Orio. — Ne peut-il s’exprimer dans notre langue ? dit Ezzelin, qui voyait l’Arabe expliquer par signes l’arrivée d’Orio. — Non, répondit Giovanna, et la femme qui sert d’interprète entre nous deux n’est point ici. Voulez-vous l’appeler ? — Il n’est pas besoin d’elle, dit Ezzelin ; et adressant la parole en arabe au jeune homme, il l’engagea à rendre compte de son message ; puis il le transmit à Giovanna. Orio, de retour de sa promenade, ayant appris l’arrivée du noble comte Ezzelino dans son île, s’apprêtait à lui offrir à souper dans les appartemens de la signora Soranzo, et le priait de l’excuser, s’il prenait quelques instans pour donner ses ordres de nuit, avant de se présenter devant lui. — Dites à cet enfant, répondit Giovanna à Ezzelino, que je réponds ainsi à son maître : L’arrivée du noble Ezzelin est un double bonheur pour moi, puisqu’elle me procure celui de souper avec mon époux. — Mais, non, ajouta-t-elle, ne lui dites pas cela ; il y verrait peut-être un reproche indirect. Dites que j’obéis ; dites que nous l’attendons.

Ezzelin ayant transmis cette réponse au jeune Arabe, celui-ci s’inclina respectueusement ; mais, avant de sortir, il s’arrêta debout devant Giovanna, et la regardant quelques instans avec attention, il lui exprima par gestes qu’il la trouvait encore plus malade que de coutume, et qu’il en était affligé. Ensuite, s’approchant d’elle avec une familiarité naïve, il toucha ses cheveux et lui fit entendre qu’elle eût à les relever. « Dites-lui que je comprends ses bienveillans conseils, dit Giovanna au comte, et que je les suivrai. Il m’engage à prendre soin de ma parure, à orner mes cheveux de diamans et de fleurs. Enfant bon et rude, qui s’imagine qu’on ressaisit l’amour d’un homme par ces moyens puérils ! car, selon lui, l’amour est l’instant de volupté qu’on donne ! »

Giovanna suivit néanmoins le conseil muet du jeune Arabe. Elle passa dans un cabinet voisin avec ses femmes, et lorsqu’elle en sortit, elle était éblouissante de parure. Cette riche toilette faisait un douloureux contraste avec la désolation qui régnait au fond de l’ame