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mille habitans maures à Alger avant la conquête ; en 1837, il n’en restait plus que douze mille. Est-ce la présence de nouveaux maîtres qui les a fait fuir ? Non, car elle n’a pas produit cet effet à Constantine, qui voit rentrer tous les jours ceux de ses habitans qui l’avaient quittée. Ce qui les a fait fuir, c’est, avant tout et par-dessus tout, l’établissement d’une population européenne, et la ruine de leurs moyens d’existence par la concurrence de cette population. Ceci met au jour une vérité, que le sage esprit qui gouverne aujourd’hui la Régence paraît avoir parfaitement saisie : c’est qu’il faut se hâter de tracer des limites à l’établissement des Européens. Nous sommes loin de vouloir borner l’émigration ; mais il est indispensable de la parquer sur certains points, au dedans et autour de certaines villes de la côte ; car, partout où elle pénétrera, elle fera fuir les Maures, et nous les aliénera en les ruinant. C’est ce qu’avaient compris les Turcs en s’interdisant le commerce et l’industrie ; c’est ce qu’a compris, à son tour, le maréchal Valée dans l’occupation de Constantine, de Coléah et de Bélida. Il a interdit dans ces trois villes l’établissement des Européens. Il a voulu que les Maures pussent continuer à y vivre en paix, gouvernés par leur administration, qu’il a confirmée. À Bélida et à Coléah, il a poussé le respect de ce principe jusqu’à faire camper les troupes en dehors des murs, où elles se construisent des forts et des casernes. En quoi nous oserions dire qu’il est allé trop loin, s’il n’a pas eu d’autres raisons ; car la présence d’une force militaire, soumise à une discipline sévère, ne sera jamais un inconvénient dans l’intérieur des villes ; l’exemple de Constantine et toute l’histoire de la domination turque le prouvent. En résumé, les principes de la conduite que nous devons tenir envers la race maure sont les suivans. Cette race est renfermée tout entière dans les villes, dont elle forme à elle seule la population ; cette population appartient à toute force militaire qui occupe les villes ; elle nous appartiendra donc dès que nous les occuperons. Cette race se soumettra à nous, et, malgré la différence de religion, préférera même, au bout de quelque temps, notre domination stable et juste, aux orages des dominations arabes, qui, depuis la chute des Turcs, se la disputent, si nous lui laissons son administration nationale, si nous respectons ses mœurs et sa foi, et surtout si notre occupation est purement militaire, et n’amène pas avec elle une population européenne qui vienne s’établir à demeure dans ses foyers, la blesser de son contact et la ruiner par sa concurrence. On peut donc considérer toutes les villes de l’Algérie que nous n’occupons pas comme autant de camps retranchés qui nous atten-