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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

de ses alliances des délais qui pouvaient lui devenir si funestes, et qui contribuèrent à lui faire perdre l’appui de la Turquie.

Sa lenteur étudiée à conclure avec la Prusse fut mal interprétée à Berlin ; on voulut y voir l’intention secrète d’en finir, par un coup de main décisif, avec cette monarchie : aussi le désarmement fut-il d’abord incomplet. Les travaux des places de Colberg, de Pilsen et de Graudentz, un moment suspendus, furent repris avec une nouvelle ardeur. De là, dans l’esprit de l’empereur, de nouveaux soupçons accompagnés de la plus vive irritation. Si le comte de Saint-Marsan avait partagé ses méfiances, c’en était fait de la Prusse : elle était envahie et écrasée ; ce ministre fut, pendant trois semaines, l’arbitre des destinées de ce pays. Il n’y avait qu’un traité d’alliance signé et ratifié qui pût mettre un terme à une situation aussi violente, et d’où naissaient, de tous côtés, la méfiance et l’anxiété.

Ce traité fut enfin signé le 24 février 1812. Les deux cours furent promptement d’accord sur les bases de l’alliance, il n’y eut de discussions entre elles que sur deux points. La Prusse exprimait le vœu que les forteresses de l’Oder fussent complètement évacuées par nos troupes ; elle demandait aussi à être affranchie de l’humiliante condition du traité de Tilsitt, qui fixait à 42,000 hommes l’effectif de son armée. La France s’étaya des circonstances extraordinaires où allait la placer la guerre de Russie pour rejeter ces demandes.

D’après le traité d’alliance, l’armée prussienne restait fixée à 43,190 hommes ; le contingent fourni par la Prusse à la France devait être de 20,000 hommes ; les garnisons de Colberg et de Graudentz ne devaient se composer, la première, que de 3,800 hommes, la seconde de 3,200. La Prusse livrait à la France, sans restriction, le passage de son territoire, et se chargeait de l’entretien de nos armées jusqu’à la concurrence de 60,000,000 de francs qu’elle nous devait encore. Tout ce qui dépasserait cette somme serait à la charge de la France.

Le traité ne fut ratifié à Berlin que le 5 mars, et ce jour-là même, l’avant-garde de la grande armée, commandée par le prince d’Eckhmuhl, s’ébranla pour entrer sur le territoire prussien et marcher sur la Vistule.

VI.

L’alliance de l’Autriche et celle de la Prusse donnaient à Napoléon les moyens d’attaquer son ennemi au centre ; mais ce n’était pas assez, il lui fallait encore le concours de la Suède et de la Turquie : ces deux puissances devaient former comme ses deux ailes. Bernadotte pénétrant en Finlande et menaçant Wibourg, à la tête de 50,000 Suédois ; 100,000 Turcs passant le Dniester, tandis que lui-même, à la tête des armées de l’Occident, s’avancerait sur le Niémen, tel est le vaste plan de guerre qu’avait rêvé son génie, et dont il crut un moment l’exécution possible. Il semblait que la Suède et la Porte ne dussent point lui faire défaut dans une entreprise au succès de laquelle ces deux puissances avaient un intérêt éminemment national. N’a-