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HISTOIRE POLITIQUE DES COURS DE L’EUROPE.

Entre ces deux partis la raison conseillait de choisir le premier. La véritable force doit savoir se maîtriser elle-même. Napoléon ne fut si grand à Tilsitt que parce qu’il posa lui-même des bornes à sa puissance, en admettant au partage de la domination du continent son ennemi vaincu. Aujourd’hui les calculs d’une ambition exclusive l’emportent sur ceux d’une politique mesurée et conservatrice. Il ne veut rien céder de ce qu’il a conquis, ni se faire pardonner l’excès de sa puissance en élevant à son niveau celle de la Russie, et il se flatte de concilier tant d’exigences avec le maintien de l’alliance et de la paix, au moyen d’une combinaison intermédiaire, par une alliance de famille. Il espère qu’Alexandre ne résistera point à un témoignage aussi éclatant d’attachement, et qu’il lui rendra la confiance et l’amitié qu’il lui exprimait naguère.

Le 22 novembre, près d’un mois avant la consommation du divorce, des instructions spéciales furent envoyées à Caulaincourt, pour qu’il préparât les voies à cette alliance. « Dans l’entrevue d’Erfurth, lui écrivit le duc de Bassano, l’empereur Alexandre doit avoir dit à l’empereur Napoléon qu’en cas de divorce, la princesse Anne, sa sœur, était à sa disposition. Sa majesté veut que vous abordiez la question franchement et simplement avec l’empereur Alexandre, et que vous lui parliez en ces termes : Sire, j’ai lieu de penser que l’empereur des Français, pressé par toute la France, se dispose au divorce. Puis-je mander qu’on peut compter sur votre sœur ? Que votre majesté veuille y penser deux jours et me donne franchement sa réponse, non comme à l’ambassadeur de France, mais comme à une personne passionnée pour les deux familles. Ce n’est point une demande formelle que je vous fais, mais un épanchement de vos intentions que je sollicite. » Cette lettre était signée par le ministre, mais avait été dictée par l’empereur. Lorsque la dépêche parvint à notre ambassadeur, Alexandre visitait les provinces de son empire, d’où il ne revint à Saint-Pétersbourg que dans les derniers jours de décembre. Le duc de Vicence mit à profit cette absence ; il prit des informations précises sur la personne de la grande-duchesse Anne, et il sut que sa constitution, d’une apparence frêle, venait à peine d’atteindre son entier développement. Dans le moment même où il transmettait ces indications à l’empereur, et avant qu’elles ne fussent arrivées à Paris, Napoléon lui envoyait l’ordre exprès de demander en son nom la main de la grande-duchesse Anne. La lettre qui contenait ces ordres portait la date du 13 décembre, et elle avait été dictée, comme celle du 22 novembre, par l’empereur lui-même. « On n’attachait, disait-il dans cette lettre, aucune importance à la différence des religions, et on voulait une réponse immédiate. » La même lettre renfermait ces mots : « Partez de ce principe que ce sont des enfans qu’on veut. »

Tandis que cette négociation s’ouvrait à Saint-Pétersbourg, l’Autriche se mettait sur les rangs, et, prenant l’initiative, offrait d’elle-même à Napoléon la main d’une archiduchesse. Elle fut certainement instruite à temps du projet de divorce et de l’intention de l’empereur de demander une épouse à la Russie. Cet évènement, dans la détresse actuelle de l’Autriche, avait une