Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 9.djvu/273

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LE GIN.

Sombre génie, ô dieu de la misère !
Fils du genièvre et frère de la bière,
Bacchus du Nord, obscur empoisonneur,
Écoute, ô Gin, un hymne en ton honneur.
Écoute un chant des plus invraisemblables,
Un chant formé de notes lamentables
Qu’en ses ébats un démon de l’enfer
Laissa tomber de son gosier de fer.
C’est un écho du vieil hymne de fête
Qu’au temps jadis à travers la tempête
On entendait au rivage normand,
Lorsque coulait l’hydromel écumant ;
Une clameur sombre et plus rude encore
Que le hurra dont le peuple Centaure,
Dans les transports de l’ivresse, autrefois
Épouvantait le fond de ses grands bois.

Dieu des cités ! à toi la vie humaine
Dans le repos et dans les jours de peine,
À toi les ports, les squares et les ponts,
Les noirs faubourgs et leurs détours profonds,
Le sol entier sous son manteau de brume !
Dans tes palais quand le nectar écume
Et brille aux yeux du peuple contristé,
Le Christ lui-même est un dieu moins fêté