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dans ses difficiles opérations (car les plus habiles astronomes sont encore plus sujets aux distractions que l’astrologue de la fable), se laissa surprendre dans sa tente, à je ne sais combien de mille pieds au-dessus de la vallée, par un ouragan de neiges prématurées. Par ici est la montagne de Bassièsses, célèbre dans le pays par la bonté de ses pâturages, et dont les fromages échappent seuls à l’anathème lancé sur tous ceux du pays par les gastronomes du Languedoc. Par là s’élève le mont ferrifère de Rancié, dont les hommes labourent depuis long-temps les entrailles. À gauche est le col de Sem, près duquel on remarque de loin une cime solitaire couronnée par un rocher de granit que supportent trois petits blocs entre lesquels, comme entre les jambes d’un trépied, on aperçoit le jour ; sur ce rocher, du temps des druides, le sang des victimes humaines a coulé, et l’on distingue encore au centre de sa surface une cavité circulaire creusée pour que ce sang vînt s’y réunir. À droite, le col de Lherz, qui conduit à l’étang du même nom, célèbre dans les annales des géologues. En face, le passage qui mène à la vieille république d’Andorre. Au fond de la vallée le bourg de Vicdessos. À mi-côte, sur la pente des montagnes, les villages de Suc et d’Auzat, celui d’Ollier, dont les habitans avaient obtenu de Charlemagne le privilége de porter tous l’épée ; celui de Goulier, les trois quarts de l’année enseveli sous les neiges ou enveloppé dans les nuages, et celui d’Orus, qui, bâti sur un terrain de kaolin en décomposition, descend lentement en masse vers le fond de la vallée, mais qui, au gré du curieux s’y rendant à pied, n’a encore que trop de chemin à faire pour se rapprocher du niveau de l’Ariége. D’un côté de Vicdessos, le chemin en zig-zag qui conduit aux mines, et que gravissent lentement les muletiers ; car, au voisinage de l’Espagne, les chemins à pentes bien ménagées, selon la mode anglaise, les beaux chariots et les vigoureux attelages font place à des sentiers escarpés et à l’arriero de la Péninsule avec ses mules au pas lent ; mais ce chemin qui grimpe, s’il a l’inconvénient de faire payer cher le minerai au maître de forges, a l’avantage d’orner le paysage par ses contours qui vont et viennent ; et pour qu’il ressemblât mieux à une décoration d’opéra, le hasard a voulu qu’il fût bordé, vers le col de Sem, par une superbe cascade de deux cents pieds de hauteur perpendiculaire, qui se précipite du milieu des sapins. De l’autre côté de Vicdessos, sur un large mamelon, voyez les débris très reconnaissables encore d’une grande enceinte fortifiée : c’est le camp de Montréal ; c’est là que stationnèrent pendant quelque temps les soldats et les douze