Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 12.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
PUBLICISTES DE LA FRANCE.

pour les journaux, lorsqu’il est las du choc des opinions et qu’il veut dormir dans la paix des intérêts matériels. Carrel voulait que l’autorité de l’homme survécût au crédit des idées de l’écrivain ; il crut que le meilleur moyen de réhabiliter la presse, c’était que l’écrivain fût prêt à porter témoignage de ses opinions par le sacrifice de sa vie. Dans cette vue, dont la rigueur est plus humaine qu’on ne pense, l’écrivain devenait plus circonspect, plus tolérant, et, par suite, plus instruit, car rien n’encourage plus à la déclamation que de ne point répondre de ce qu’on écrit, et d’attaquer sous un nom collectif. Mais les habitudes étaient plus fortes que la volonté et les exemples de Carrel. Il ne réforma rien ; tout au plus parvint-il à obtenir, pour le journal qu’il dirigeait, des égards peu courageux.

La pensée de Carrel était une erreur, mais de ces erreurs qui viennent de trop d’honneur. C’est un fort mauvais moyen de réforme que de faire de la plume une épée. En France, il est périlleux de donner l’autorité morale au courage, car le courage, vertu sérieuse et réfléchie dans les uns, est, dans un plus grand nombre, une vertu de sang, et, dans certains, un moyen de fortune. S’il est très vrai que le risque personnel d’un écrivain puisse le rendre plus prudent, combien d’autres qui, prenant le courage pour des lumières, hasarderont d’autant plus les paroles qu’ils y auront le double attrait de soulager leurs passions et de montrer qu’ils n’ont pas peur ! Demander à un journaliste sa vie pour gage de ses convictions, c’est non-seulement exposer à de grossières méprises les gens de cœur qui estiment leurs idées d’après le danger qu’ils sont prêts à courir pour les défendre ; mais c’est donner à certains hommes l’idée qu’un duel heureux peut être une bonne affaire.

Carrel avait retenu de sa première éducation, et contre toutes ses lumières naturelles et acquises, cette fatale opinion qu’un duel appareille les adversaires, et que l’offenseur qui persiste s’élève au rang de l’offensé. Soit estime de profession pour le courage en général, soit qu’il s’exagérât celui qu’on pouvait avoir à se mesurer avec lui, Carrel ne se crut jamais le droit de choisir ni de refuser un adversaire. Quiconque le provoquait était digne de lui. Croyait-il donc à son étoile, et regardait-il comme des victimes condamnées par la fatalité ceux qui voulaient jouer leur présent contre son avenir ? On eût pu le penser à voir ses nobles habitudes dans ces tristes circonstances, ses égards extraordinaires pour son adversaire, son ame sans haine, son courage sans colère, et je ne sais quel désir intérieur de satisfaire à l’honneur au moindre prix possible. Il semblait avoir