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une étoffe du dernier siècle. La valeur de Shakespeare n’est pas une question littéraire, mais une question de mode. C’est pourquoi je pense que M. Barbier eût bien fait d’abandonner la mortalité providentielle de Shakespeare et d’insister exclusivement sur l’ingratitude de sa patrie ; car ce n’est pas en élevant au poète de Stratford une statue de bronze de quatre-vingts pieds, et en construisant une taverne dans la tête de ce colosse, que l’Angleterre prouvera qu’elle ne manque pas de mémoire : un tel monument, si jamais il s’élève, et nous avons le droit de le craindre, ne révèlera chez les souscripteurs qu’une puérile vanité.

La pièce sur Westminster me paraît très supérieure à la pièce sur Shakespeare, non que la forme soit plus précise et plus pure, mais l’idée choisie par le poète est mieux définie, plus facile à embrasser et plus juste en elle-même. En effet, il n’y a pas un voyageur qui, en visitant l’abbaye de Westminster, n’ait demandé à voir le tombeau de Byron. Or, les cendres de Byron sont à quelques lieues de Newstead-Abbey, dans une église de village, et quoique nous sachions par le témoignage de Washington Irving, avec quel soin le colonel Wildman, aujourd’hui propriétaire de Newstead-Abbey, a recueilli tout ce qui se rattache au souvenir de Byron, cette assurance n’excuse pas l’ingratitude de l’Angleterre envers le seul poète qu’elle puisse mettre à côté de Shakespeare et de Milton ; la religion du colonel Wildman n’est pas la religion du pays. Que la naissance et la richesse obtiennent un tombeau sous les voûtes de Westminster, ce n’est pas là un sujet d’étonnement, mais que le pays confie au ciseau de Chantrey l’image de James Watt, et que ce même pays ne trouve pas un penny pour élever une statue à Byron, pour recueillir ses cendres et les placer à côté des cendres de Newton ; que la société anglaise, qui a trouvé de l’or pour honorer la mémoire d’un illustre mécanicien, laisse passer sans les retenir les débris mortels d’un homme dont la gloire rayonne sur l’Europe entière, voilà ce qui est une honte, voilà ce que M. Barbier a bien fait de flétrir. Si l’idée mère de Westminster est juste et grande, le style de cette pièce n’a pas constamment toute la clarté désirable. Les plaintes exprimées directement par Byron, les apostrophes adressées par M. Barbier au pèlerin immortel, ont quelquefois besoin d’être étudiées à plusieurs reprises ; souvent il arrive que les images manquent d’analogie et rendent la pensée obscure.

La pièce du Pilote, adressée à William Pitt, n’a peut-être pas reçu tous les développemens qu’elle méritait. Le rôle joué en Europe par