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et partageait chaque nuit le même cilice, espérant par elle retrouver quelque communication avec celui qu’elle avait perdu, et qui déjà se révélait à la sainte amie plus détachée. Dans ce château où elle fut, près du camp de Vertus, tout l’entourage de Mme de Krüdner, plus ou moins, prêchait à son exemple ; sa fille, son gendre, prêchaient la famille du vieux gentilhomme qui les logeait ; la jeune femme de chambre elle-même prêchait le vieux domestique du château. Quelques mots engagés à la rencontre, n’importe à quel sujet et en quel lieu, servaient de texte, et sur un escalier, sur un perron, au seuil d’un appartement, l’entretien tournait vite en prédication. Le respect pourtant et une sorte d’admiration s’attachaient à elle et corrigeaient l’impression de ses alentours. Bien des railleurs à Paris, qui allaient l’entendre dans son grand salon du faubourg Saint-Honoré, ouvert à tous, revenaient, sinon convaincus, du moins charmés et pénétrés de sa personne. Tel de sa connaissance familière, qui se croyait tenu de résister quand elle était là, prêchait un peu à son exemple dès qu’elle n’y était plus. Elle avait une éloquence particulièrement admirable et un redoublement de plénitude quand elle parlait des misères humaines chez les grands : « Oh ! combien j’ai habité de palais, disait-elle à une jeune fille bien digne de l’entendre ; oh ! si vous saviez combien de misères et d’angoisses s’y recèlent ! je n’en vois jamais un sans avoir le cœur serré. » Mais c’est surtout quand elle parlait aux pauvres de ces misères qui égalent les leurs, que l’effet de sa parole était souverain. Une fois à Paris, sollicitée par l’amitié d’un homme de bien, M. de Gérando, elle pénétra avec l’autorisation du préfet de police, dans la prison de Saint-Lazare, et là elle se trouva en présence de la portion véritablement la plus malade de la société. Elle commença au milieu de ces femmes étonnées et bientôt touchées. Les plaies des puissans furent étalées ; elle frappa son cœur ; elle se confessa aussi grande pécheresse qu’elles toutes ; elle parla de ce Dieu qui, comme elle disait souvent, l’avait ramassée au milieu des délices du monde. Cela dura plusieurs heures ; l’effet fut soudain, croissant ; c’étaient des sanglots, des éclats de reconnaissance. Quand elle sortit, les portes étaient assiégées, les corridors remplis d’une double haie. On lui fit promettre de revenir, d’envoyer de bons livres. Mais d’autres émotions survinrent ; elle n’y retourna pas ; et c’est dans ce peu de suite que, chez Mme de Krüdner, le manque de discipline, d’ordre fixe, et aussi de doctrine arrêtée, se fait surtout sentir.

Combien de fois, quand on la pressait sur cette doctrine, quand on