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REVUE. — CHRONIQUE.

se présentera dans la chambre, mais le système actuel se croit assez fort, et il sera, il faut l’espérer, assez bien appuyé, pour n’avoir pas à craindre de succomber dans la lutte. Le journal officiel de ce parti, rédigé aujourd’hui par les doctrinaires les plus éminens, montre suffisamment quel progrès fait l’association doctrinaire dans la voie rétrograde où elle s’est jetée. On y trouve chaque jour maintenant quelques-unes de ces imprudentes provocations que certaines feuilles royalistes jetaient en défi au pays, dans les derniers mois du règne de Charles X. Il y a quelques années, au milieu de l’effervescence née de la révolution de juillet, les doctrinaires, plus heureux, plus habiles et mieux conseillés, ne s’engageaient jamais de leur plein gré dans ces discussions téméraires. Alors ils n’eussent pas d’eux-mêmes, et sans raison, comme vient de le faire leur journal officiel, soulevé, en pleine paix, la question de la souveraineté du peuple, comme vient de le faire, en plusieurs longs articles, leur organe avoué. À quoi bon combattre ce fantôme absent, qui, au dire même de M. Guizot, doit sommeiller pendant des siècles jusqu’à ce que quelque grande catastrophe le réveille ? Autrefois, M. Guizot et ses amis répondaient par ces sages paroles à ceux qui invoquaient cette terrible apparition ; aujourd’hui ils semblent l’exciter quand elle dort, l’évoquer quand elle est absente, comme pour chercher à plaisir une question irritante au milieu du repos de l’intervalle des sessions, comme pour s’entretenir à la guerre civile, et nourrir une bile qui ne sait où se répandre en ce moment ? — On ne peut gouverner avec la souveraineté du peuple ! Voilà le texte sur lequel s’exercent les doctrinaires aujourd’hui. Mais un mot de réponse suffirait, et vous-mêmes, en de meilleurs temps, vous l’avez dit, ce mot plein de sagesse : on ne gouverne pas en effet avec le principe de la souveraineté absolue d’une nation. Quand cette souveraineté a disposé d’un trône vacant, le fait est accompli ; c’est le contrat nouveau qui gouverne, et non le principe de souveraineté qui a créé ce contrat entre le souverain et la nation.

On ne sait que penser d’esprits éminens, d’ailleurs, qui perdent ainsi leur terrain et jettent chaque jour à terre, dans leur marche, une partie du bagage d’expérience, de raison et de sagesse, qu’ils avaient amassé pendant de longues années ! Ces indices sont faciles à comprendre. Le parti doctrinaire revient évidemment à son point de départ. En peu d’années, de mois peut-être, selon les évènemens, il sera de retour au lieu de son origine. Royalistes violens, imbus de tous les principes de la restauration, leur sortie du pouvoir et les difficultés qu’ils éprouvèrent pour y rentrer, jetèrent les doctrinaires dans les rangs de l’opposition libérale. Sans eux, une révolution légale n’eut pas été possible. Ils contribuèrent de toute leur activité à faire dominer l’extrême gauche dans les élections, et de cette alliance sortirent les 221 et la révolution de 1830. Ne dirait-on pas qu’un dépit pareil ramène aujourd’hui des circonstances analogues, et que ce parti, de plus en plus séparé de la gauche modérée, tend à retourner à la droite, d’où sortira peut-être, après d’inutiles efforts pour reprendre les affaires, une alliance ouverte avec le parti légitimiste ? Mais là s’arrêtera l’analogie. Le pouvoir profitera mieux de l’expérience du passé que n’ont fait les doctrinaires, et sa fermeté patiente, qu’ils traitent de faiblesse, leur opposera de sérieux obstacles quand il en sera temps. Le gouvernement se sent même assez fort pour voir sans inquiétude les soins que se donnent les doctrinaires