Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/392

Cette page a été validée par deux contributeurs.
388
REVUE DES DEUX MONDES.

on le bafoue[1]. À la violence, il répond par le calme, à la moquerie, par une ironie supérieure ; il rassemble son manteau et poursuit son chemin. Dans Socrate, le bon sens s’élève à l’audace, à l’héroïsme, au sacrifice, et cela sans emphase, sans déclamation, au milieu d’une vie active et militante. Socrate combat à Amphipolis, à Delium charge sur ses épaules Xénophon renversé de cheval, mérite devant Potidée le prix de la valeur, qu’il fait donner à Alcibiade ; puis il passe le reste de sa vie dans Athènes, au milieu du peuple, de la jeunesse. Il cause, il rit, il raille, il enseigne ; sa vie est un dialogue perpétuel qui divertit Athènes, la réforme et l’irrite. Un jour, enfin, le peuple se fâche, excité d’ailleurs par quelques bons citoyens, amis de l’ordre, et il impose l’obligation de mourir à Socrate, bouffon-martyr[2], que la ciguë devait faire si grand[3].

On ne saurait trop admirer, dans le fils du sculpteur, l’originalité du caractère et son exquise nationalité. Cet homme, dont l’esprit est si général et dont la mission embrasse le monde, a tous les traits de l’individualité hellénique, tous les signes et tous les goûts de la civilisation de son pays ; c’est le Grec, c’est l’Athénien ; il aime la poésie, la musique, la sculpture, la beauté, les longs entretiens ; plus il ressemble à ses concitoyens, mieux il est doué pour les contredire et les réformer ; génie novateur qui se déguisait un peu sous la draperie grecque.

Mais ne fallait-il pas que dans la patrie d’Homère la philosophie revêtît toute la grandeur épique de la poésie ? Le bon sens avait parlé ; la cause de la science s’était sacrée elle-même par un martyre volontaire. Un artiste était nécessaire qui mît en œuvre ces élémens immortels ; Platon naquit quand Périclès mourait ; la majesté littéraire se préparait ainsi à succéder à la majesté politique.

Platon plaça ses travaux et sa vie sous la consécration du nom de Socrate ; il comprit que, d’autant plus puissant qu’il était mort, Socrate devait être adopté comme le signe, le type, le dieu de la philosophie ; il mettra tout dans la bouche de l’ami d’Alcibiade, jusqu’aux doctrines qu’il pourra rapporter des sanctuaires de Saïs ; et s’il est Oriental, ce sera sous l’égide de Socrate l’Athénien, avec les formes d’Homère, et aussi avec le comique d’Aristophane.

Deux dialogues que Platon composa dans sa jeunesse nous mon-

  1. Diogène Laërce.
  2. Scurram Atticum. Cicer. De Nat. Deor., lib. 1, cap. xxxiv.
  3. Cicuta magnum Socratem fecit. Seneca, epist. XIII.