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critique ne se laisse voir en nuances plus curieuses et plus distinctes que dans ces appréciations compliquées et ménagées. Déjà, dans l’introduction générale du cours, il disait, en parlant de Voltaire : « C’est avec raison que Voltaire écrivait : « Vers la fin du siècle de Louis XIV, la nature parut se reposer, » si lui-même ne datait de cette époque : Voltaire, en qui se retrouve le génie du siècle des arts, et la curiosité sceptique, la vivacité, la hardiesse du xviiie siècle ; Voltaire, le plus puissant rénovateur des esprits depuis Luther, et l’homme qui a mis le plus en commun les idées de l’Europe par sa gloire, sa longue vie, son merveilleux esprit, et son universelle clarté. Mais vous le savez, messieurs, si personne n’a rendu ses idées plus populaires, personne n’a emprunté davantage aux idées d’autrui. Il imita du xviie siècle sa pompe élégante et poétique, du théâtre anglais ses hardiesses, des sceptiques anglais toute sa philosophie, des mœurs de son temps toute sa licence. Cette flexibilité de nature, cette infatigable mobilité, ce composé d’air et de flamme qui jamais ne s’arrête, comme le coursier d’Arioste, c’est là son génie même : l’imitation fait partie de son être original. »
Il reprend bientôt d’une manière continue :


Pendant que l’ingénieux de La Motte dissertait sur l’art dramatique, un jeune homme, sorti de chez les jésuites, où il avait entendu les spirituelles leçons et joué les petits drames latins du père Porée, le jeune Arouet, jeté dans le monde avec l’étourderie de son âge, déjà fameux par son esprit et par un séjour de quelques mois à la Bastille, avait trouvé, à vingt-trois ans, cette tragédie que cherchait La Motte.

Pour rendre le contraste plus piquant, il avait choisi ce même sujet d’Œdipe tant de fois traité ; mais il y avait jeté son brillant coloris et quelque chose de cette élégante parure de langage qui plaît en France, et qu’on n’y voyait plus depuis Racine. Le jeune Arouet, quelque hardiesse d’esprit qu’il se sentît déjà, n’avait aucun système, aucune théorie nouvelle sur la tragédie ; il croyait de bonne foi à Corneille et à Racine, les admirait beaucoup plus que les Grecs qu’il entendait moins bien, et avait, d’ailleurs, sur la dignité et les bienséances théâtrales, toutes les traditions de la cour de Louis XIV. Il n’hésita donc pas à mettre dans Œdipe, sinon une passion, au moins une réminiscence d’amour, pour occuper la scène et varier l’intérêt. Plus tard, il s’est beaucoup moqué de ce ridicule et des tendres paroles du prince Phi-