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thousiasme, mais même la moindre préférence. La faible couleur est si passée, que le discernement n’y prend plus. Les Discours en vers de Millevoye, ses Dialogues rimés d’après Lucien, ses tragédies, ses traductions de l’Iliade ou des Églogues selon la manière de l’abbé Delille, nous semblent, chez lui, des thèmes plus ou moins étrangers, que la circonstance académique ou le goût du temps lui imposa, et dont il s’occupait sans ennui, se laissant dire peut-être que la gloire sérieuse était de ce côté. Nous nous en tiendrons à sa gloire aimable, à ce que sa seule sensibilité lui inspira, à ce qui fait de lui le poète de nos mélancolies et de nos romances.

Les poètes particulièrement (notons ceci) sont très sujets à rencontrer d’honnêtes personnes, d’ailleurs instruites et sensées, mais qui ne semblent occupées que de les détourner de leur vrai talent. Les trois quarts des prétendus juges, ne se formant idée de la valeur des œuvres que d’après les genres, conseilleront toujours au poète aimable, léger, sensible, quelque chose de grand, de sérieux, d’important ; et ils seront très disposés à attacher plus de considération à ce qui les aura convenablement ennuyés. La postérité n’est pas du tout ainsi ; il lui est parfaitement indifférent, à elle, qu’on ait cultivé d’une manière estimable, et dans de justes dimensions, les genres en honneur. Elle vous prend et vous classe sans façon pour votre part originale et neuve, si petite que vous l’ayez apportée. Que Millevoye, tenté par l’immense succès des Géorgiques de Delille et par l’espérance d’arriver, avec un grand ouvrage, à l’Académie, ait terminé un chant de plus ou de moins de sa traduction de l’Iliade, elle s’en soucie peu ; et c’est de quoi sans doute, autour de lui, on se souciait beaucoup. Sans croire faire injure au tendre poète, nous sommes déjà ici de la postérité dans nos indifférences, dans nos préférences.

Son premier recueil d’élégies est de 1812 ; il en avait composé la plupart dans les années qui avaient précédé, et sa Chute des Feuilles, par où le recueil commence, avait, un peu auparavant, obtenu le prix aux Jeux floraux. Dans un fort bon discours sur l’élégie, qu’il a ajouté en tête, Millevoye, qui se plaît à suivre l’histoire de cette veine de poésie en notre littérature, marque assez sa prédilection et la trace où il a essayé de se placer. Chez Marot, chez La fontaine, chez Racine, il cite les passages de sensibilité et de plainte qu’il rapporte à l’élégie ; et, quels que soient les éloges