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tion à donner aux runes. Palgrave rapporte dans son Histoire des Anglo-Saxons, une inscription à laquelle trois hommes distingués ont attribué un sens totalement opposé. Champollion et Seyffarth n’ont pas eu plus de contestations sur les hyéroglyphes égyptiens, que les écrivains d’Allemagne et de Danemark n’en ont eu sur les hyéroglyphes du nord. Dans cet état d’incertitude, quelle que puisse être notre opinion, nous nous garderons bien de rien conclure, et nous chercherons seulement à rapporter aussi exactement que possible ce que l’on sait sur les runes.

Le mot rune en islandais signifie parole, mais surtout parole mystérieuse. Il se retrouve dans la langue méso-gothique, kymrique, anglo-saxonne, et toujours avec la même signification. Les Finnois l’emploient pour désigner leurs chants populaires, leurs vieilles ballades[1], et les sagas islandaises lui donnent souvent aussi le même sens.

Selon des traditions anciennes, les runes furent apportées dans le nord par Odin. Ce fut lui qui apprit au peuple à s’en servir, et qui lui révéla leur puissance magique. Avec les runes, il pouvait, dit l’Edda[2], guérir les maladies, apaiser les orages, arrêter une flèche dans son vol. Avec les runes il brisait les chaînes des prisonniers, il réveillait les morts, il étouffait un incendie. Il savait comment il fallait les employer pour gagner l’amour d’une femme, et il connaissait des secrets mystérieux qu’il ne voulait révéler qu’à sa sœur ou à sa bien-aimée.

Dans une autre partie de l’Edda, Sigurd prie une valkyrie de lui enseigner la sagesse, et elle lui apprend différentes espèces de runes ; les runes victorieuses pour résister à ses ennemis, pour triompher dans les combats ; les runes de mer pour n’avoir rien à redouter des orages ; les runes de forêt pour connaître les plantes médicales, et traiter efficacement toutes les plaies.

On gravait les runes sur la proue du navire, sur le pommeau du glaive, sur les cornes à boire, quelquefois sur des baguettes en bois que l’on portait en guise d’amulette[3], et le peuple croyait à la vertu de ces caractères mystérieux. Un jour on présenta à Égil une coupe empoisonnée, il s’ouvrit une veine, en fit jaillir du sang, écrivit avec ce sang des paroles runiques sur la coupe, et à l’instant elle se rompit en deux[4]. Un autre jour, on le conduisit auprès d’une jeune malade pour laquelle on avait inutilement employé tous les remèdes ; il la fit lever, chercha

  1. On a publié dernièrement en Allemagne un recueil de ballades finnoises avec le titre de Finnische Runen.
  2. Runa-Thattr.
  3. Les Groenlandais ont encore de pareils amulettes, et croient qu’en employant de certaines manières quelques caractères de l’alphabet, ils peuvent faire mourir Torgarnsuk, leur esprit le plus puissant. V. Egede. Det gamle Groenlands nye Perlustration.
  4. Egilssaga, pag. 212.