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choisies, et dans la diminution inévitable de ce qu’on peut appeler proprement génies créateurs, par le nombre des talens distingués, ingénieux, intelligens, instruits et nourris en toute matière d’art, d’étude et de pensée, séduisans à lire, éloquens à entendre, conservateurs avec goût, novateurs avec décence.

Entre les hommes de notre temps, celui dont le nom attire à lui et nous peint, nous réfléchit le mieux toutes ces louanges, est, sans contredit, M. Villemain. Par l’ordre de sa date, par le rang éminent où il s’est placé d’abord, par la vive influence qu’il a longuement exercée, par le progrès et l’accroissement où il n’a pas cessé de se tenir, en même temps qu’il reste pour nous du très petit nombre des maîtres illustres, il est de ceux dont l’autorité continue de vivre, et qu’on est certain, en avançant, de toujours et de plus en plus retrouver.

M. Abel Villemain, né à Paris vers la fin de 91 ou au commencement de 92, d’une mère que tous ceux qui ont l’honneur de la connaître savent d’humeur si spirituelle et si marquée, fit de ces bonnes et excellentes études classiques, qu’il eût en tout cas réparées avec sa rare promptitude, si elles avaient été insuffisantes, mais dont l’heureuse et précoce facilité eut une grande part dans sa tournure littéraire. Sans être trop assujetti à une discipline régulière et rigoureuse qui alors n’existait pas (car il y avait quelque chose de très libre et de paternel dans les études renaissantes), il se trouva en pension chez un maître bien connu, qui savait parfaitement le grec, M. Planche, et le jeune Villemain dut au secours qu’il rencontra, d’acquérir d’abord et sans peine ce fonds exquis, si favorable ensuite à toute culture. Vers l’âge de douze ans, il jouait la tragédie en grec à sa pension, dans les exercices de la fin de l’année ; il sait encore et récite aujourd’hui à nos oreilles un peu déconcertées tout son rôle d’Ulysse, de la tragédie de Philoctète. Geoffroy avait été invité à l’une de ces représentations, qui ne rappelaient pas mal, dans l’université renaissante, les thèses en grec de MM. Rollin et Boivin le cadet, si fameuses dans l’ancienne université, ou mieux encore les exercices de MM. Le Pelletier fils et du jeune abbé de Louvois. Émerveillé de ce qu’il venait d’entendre, il fit, au sortir de là, un article intitulé le Théâtre d’Athènes. Ces libres mais fortes études prédisposaient avec bonheur l’esprit de l’enfant à ce qu’il devait être dans la suite, en lui