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mis à genoux pour encenser le saint sacrement, il se releva, traversa le chœur, et s’avança vers le fauteuil pour rendre le même honneur à Mlle de Fougères, selon les us et coutumes de l’ancienne féodalité, il s’aperçut de sa méprise, et son bras resta suspendu entre le ciel et la terre, tandis que toute la congrégation des fidèles, l’œil ouvert et la bouche béante, se demandait la cause des honneurs insolites rendus à la mère Mathurin.

Le jeune curé ne perdit point la tête, et voyant que Mlle de Fougères avait mis un peu d’obstination et de malice dans cette aventure, il lui prouva qu’elle n’aurait pas le dernier mot ; car il se retourna vivement de l’autre côté et se mit à encenser la tribune seigneuriale comme pour rendre à cette place vide les honneurs dus au titre plus qu’à la personne. Tout le village resta ébahi, et il fallut plus de six mois pour faire adopter la véritable version de cet évènement aux commentateurs exténués de recherches et de discussions. Les parens de la mère doyenne ne manquèrent pas de dire qu’elle avait été bénie en vertu d’un ancien usage qui décernait cette préférence aux centenaires, et que M. le curé avait trouvé dans les archives de la commune. Quant à elle, comme elle dormait du sommeil des justes pendant qu’on lui rendait cet honneur, et que son oreille avait le bonheur d’être fermée pour jamais à toutes les paroles humaines et à tous les bruits de la terre, elle mourut sans savoir qu’elle avait été encensée.

Depuis cette aventure, Jeanne Féline conçut une haute estime pour Mlle de Fougères, et au lieu d’éviter de parler d’elle comme elle avait fait jusqu’alors, elle questionna Mlle Bonne avec intérêt sur le caractère de sa noble amie. Bonne avait tant de respect pour la sagesse et la prudence de sa voisine, qu’elle se crut dispensée avec elle du secret que Fiamma lui avait imposé. Elle lui confia les sentimens généreux et les vertus vraiment libérales de cette jeune fille, et lui dit le désir qu’elle avait témoigné de la connaître. Malgré le plaisir que la bonne Féline ressentit de ces réponses, elle se défendit de faire connaissance avec la châtelaine. — Comment voulez-vous que cela se fasse ? répondit-elle, son père trouverait mauvais sans doute au fond du cœur qu’elle vînt me voir ; et quant à moi, je ne saurais aller demander à ses domestiques la permission de l’approcher. J’attendrai l’occasion ; et si je la rencontre, je lui dirai ma satisfaction de sa conduite à l’église. Sans la sagesse de cet enfant, M. le curé,