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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

conservé les fleurs desséchées et les papillons qu’il lui avait donnés autrefois. Elle avait mis en outre sous verre un morceau de cristal de Madegascar, un fragment de basalte de la montagne du Pouce (celle où Paul allait tous les soirs épier à l’horizon maritime la voile qui devait lui ramener Virginie le lendemain matin), et un guêpier en forme de rose qui commençait à tomber en poussière. Une grosse larme coula sur la joue basanée de notre Malgache. L’amour s’y noya, l’amitié survécut calme et purifiée.

Maintenant le Malgache, réduit à l’état de momie, mais plus vert et plus actif que jamais, coule des jours purs au fond de sa pépinière. Il a été juge de paix pendant quelque temps ; mais bientôt dégoûté, comme il dit, des grandeurs et des soucis qu’elles traînent à leur suite, il a donné sa démission, et ne veut plus recevoir de lettres que celles qui sont adressées à M. ***, pépiniériste. Comme il a beaucoup travaillé dans sa retraite, il a beaucoup appris, et c’est aujourd’hui un des hommes les plus savans de France ; mais personne ne s’en doute, pas même lui. Un peu de mélancolie vient bien parfois obscurcir sa brillante gaîté, surtout lorsqu’il gèle en avril pendant que les abricotiers sont en fleur ; et puis, le Malgache a une grande qualité et un grand malheur : il est ce que les marchands de porcs appellent cerveau brûlé ; cela veut dire qu’il a l’ame républicaine, qu’il ne trouve pas la société juste et généreuse, et qu’il souffre de ne pouvoir y donner de l’air, du soleil et du pain à tous ceux qui en manquent. — Il se console au milieu d’un petit nombre d’ames sympathiques qui souffrent et prient avec lui ; mais quand il rentre dans sa solitude, il s’attriste profondément, et il m’écrit : « Ô mon Dieu ! serions-nous des utopistes, et faudra-t-il mourir en laissant le monde comme il est, sans espoir qu’après nous il s’améliore ? N’importe, allons toujours, parlons et agissons, comme si nous avions l’espérance ; n’est-ce pas, vieux ?

Il prend alors sa blouse et sa bêche pour chasser le découragement, et quand il a travaillé tout le jour, il est calme, et humblement philosophe, le soir. Il m’écrit alors avec l’encre de la joie et du contentement. Ce qu’il appelle ainsi, c’est le jus du raisin d’Amérique qu’il exprime dans un coquillage et qui produit