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Bien plus, un pieux narrateur de légendes suspend le récit plein d’onction d’un miracle de sainte Léocadie pour s’écrier :


Tout le mont Rome mâche et ronge[1].


On se souvient aussi de cette plaisante nouvelle de Boccace, où un juif, pressé de se convertir, veut voir Rome avant de se décider. Grande inquiétude chez l’ami qui l’exhortait à changer de foi ; quel effet produira sur lui le spectacle de la dissolution romaine ?… Mais le juif revient fermement convaincu de la vérité de la religion chrétienne : Il faut bien, dit-il, que Dieu se mêle de la soutenir, pour qu’elle subsiste malgré tout ce que les hommes font pour la déshonorer.

On ne pouvait représenter d’une manière plus vive, et par une plus sanglante ironie, le scandale de la corruption romaine, et le danger où le spectacle de cette corruption mettait les croyances. La conversion du juif, ainsi motivée, faisait pressentir la séparation de la moitié de l’Europe ; bien avant que Luther eût commencé à son insu cette séparation en attaquant les indulgences, Chaucer, l’ami et le complice de l’hérésiarque Wiklef, leur avait porté de rudes coups dans la personne de son pardoner (indulgencier), l’un des personnages grotesques de ses Contes de Canterbury.

Le pardoner vient de Rome, tout chargé d’indulgences, et portant dans sa valise grande provision de reliques, au nombre desquelles se trouvent un morceau de la robe de la sainte Vierge, et un lambeau de la voile du bateau de saint Pierre, pauvre nef que l’on commençait alors à dépecer. Ce personnage, dont les anciens manuscrits offrent la représentation figurée, paraît souvent dans les moralités dramatiques, autre forme de la satire au moyen-âge ; c’est un type du pélerin venant de Rome, tel que la malice populaire l’avait souvent observé. Enfin, dans cette grande épopée satirique, dont le Renard est le héros, le voyage de Rome est parodié comme les tournois de la chevalerie, les cérémonies de la religion, l’autorité de la justice féodale, comme la société de ce temps tout

  1. Rome mâche et ronge tout le monde.