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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

grandissaient dans la douleur, qu’elle ne serait jamais aimée comme elle aimait, et qu’il fallait pourtant se proposer quelque vaste emploi de la vie. Elle songea donc sérieusement à faire un plein usage de ses facultés, de ses talens, à ne pas s’abattre ; et, puisqu’il était temps et que le soleil s’inclinait à peine, son génie se résolut à marcher fièrement dans les années du milieu : « Relevons-nous enfin, s’écriait-elle en sa préface du livre tant cité, relevons-nous sous le poids de l’existence ; ne donnons pas à nos injustes ennemis et à nos amis ingrats le triomphe d’avoir abattu nos facultés intellectuelles. Ils réduisent à chercher la gloire ceux qui se seraient contentés des affections ; eh bien ! il faut l’atteindre ! » La gloire en effet entra dès-lors en partage ouvert dans son cœur avec le sentiment. La société avait toujours été beaucoup pour elle, l’Europe devint désormais quelque chose, et c’est en présence de ce grand théâtre qu’elle aspira aux longues entreprises. Son beau vaisseau, battu de la tempête au sortir du port, long-temps lassé en vue du rivage, s’irrita d’attendre, de signaler des débris, et se lança à toutes voiles sur la haute mer. Delphine, Corinne, le livre de l’Allemagne furent les conquêtes successives d’une si glorieuse aventure. Mme de Staël, en 1800, était jeune encore, mais cette jeunesse de plus de trente ans ne faisait pas une illusion pour elle ni un avenir ; elle substituait donc à temps l’horizon indéfini de la gloire à celui, déjà restreint et un peu pâlissant, de la jeunesse ; ce dernier s’alongeait et se perpétuait ainsi dans l’autre, et elle marchait en possession de toute sa puissance durant ces années les plus radieuses, mais qu’on ne compte plus. Corinne et le moment qui suivit cette apparition marquent le point dominant de la vie de Mme de Staël. Toute vie humaine, un peu grande, a sa colline sacrée ; toute existence, qui a brillé et régné, a son Capitole. Le Capitole, le cap Misène de Corinne, est aussi celui de Mme de Staël. À partir de là, le reste de jeunesse qui s’enfuyait, les persécutions croissantes, les amitiés dont plusieurs faillirent, dont la plupart se décolorèrent, la maladie enfin, tout contribua, nous le verrons, en mûrissant le talent encore, à introduire ce génie, majestueux et couronné, dans les années sombres. À dater de 1811 surtout, en regardant au fond de la pensée de Mme de Staël, nous y découvrirons par degrés le recueillement que la religion procure,