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DIPLOMATES EUROPÉENS.

Pourtant il est positif qu’à Chatillon on eût traité avec Napoléon, s’il eût accepté à temps les préliminaires de paix qu’imposaient les alliés. M. de Caulaincourt fut autorisé trop tard à s’y soumettre ; M. Pozzo di Borgo avait encore eu le temps d’empêcher l’effet des dispositions généreuses d’Alexandre. — Il faut renverser Bonaparte, disait-il. La paix que vous lui accorderiez ne serait qu’un moyen de recrutement pour lui ; avant un an, vous le verriez déborder de nouveau et menacer peut-être encore Moscou du torrent de ses armées.

Ce fut alors que les souverains signèrent le traité de Chaumont qui resserrait plus étroitement leur alliance. La guerre fut poussée avec une vigueur nouvelle. La pointe sur la capitale, recommandée si incessamment par le général Pozzo di Borgo, eut l’effet qu’on en devait attendre. Il ne tarda pas à entrer lui-même dans Paris à la suite de l’empereur Alexandre.

Ici les souvenirs sont poignans ; nous glissons sur les détails, d’ailleurs trop bien connus, de cette douloureuse occupation. La cause de Napoléon commençait à être désespérée ; sauf quelques généreux soldats groupés encore autour de lui, et résolus à mourir sous leurs aigles, tous l’avaient abandonné. Il avait contre lui les républicains et les royalistes, dont les doubles espérances s’étaient réveillées, et la masse de la population épuisée par la guerre. Cette universelle réprobation qui demandait son renversement était fort énergiquement exprimée par le gouvernement provisoire, auprès duquel M. Pozzo fut envoyé en qualité de commissaire par l’empereur Alexandre. Certes, ces dispositions du gouvernement trouvèrent alors une suffisante sympathie dans la haine du diplomate, qui les servit dignement. Plusieurs maréchaux avaient tenté d’amener le czar à traiter avec Ia régence. Alexandre, encore dominé par le souvenir de Napoléon, allait peut-être écouter son émotion personnelle. M. Pozzo di Borgo arriva, le gouvernement provisoire l’avait averti. Il arrêta, et cette fois sans retour, le noble mouvement de son souverain. — La régence, s’écria-t-il, c’était toujours Napoléon ! et la France n’en voulait plus. Lui dicter une paix si dure qu’elle fût, c’était s’exposer à une reprise d’armes. Si l’Europe tenait au repos, il fallait en finir avec le régime impérial ; il fallait abattre l’empereur. — Le général demeura deux heures près du czar, il ne le quitta pas qu’il n’eût obtenu de lui la promesse qu’on ne traiterait plus avec l’empereur ni avec sa famille. Maître de l’irrévocable proclamation, il court tout exalté de son triomphe auprès du gouvernement provisoire ; et là, avec un accent de joie inexprimable : « Mon cher prince, dit-il à M. de Talleyrand, ce n’est pas moi sans doute qui ai tué seul politiquement Buonaparte ; mais c’est moi qui lui ai jeté la dernière pelletée de terre sur la tête ! »