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l’expérience, se lance dans la carrière des contre-révolutions ? À qui la faute si ses conseils n’ont pas été écoutés ? C’est ainsi que nous jugeons M. de Talleyrand à Londres. Nous avons ici une appréciation plus juste, plus hautement politique, des hommes et des circonstances à travers lesquelles ils passent.

Vous ne vous étonnerez donc pas si je m’éloigne, dans mes jugemens, de votre presse vulgaire ; vous voulez savoir les faits, et les faits n’empruntent rien à ces polémiques grossières que l’histoire secouera.

Avant la révolution de juillet, nous ne connaissions M. de Talleyrand en Angleterre que comme un souvenir ; il y avait près de dix ans que le prince s’était tout-à-fait retiré du théâtre actif de la politique ; seulement il avait conservé une correspondance d’amitié avec le comte Grey ; il cherchait également à maintenir ses rapports avec quelques vieux personnages du parti tory qu’il avait connus en 1814 et 1815, lors de son action décisive sur les destinées de la restauration. Le nom de M. de Talleyrand n’était point impopulaire à Londres ; on savait que seul il s’était opposé à la prépondérance du système russe sur les affaires de la France ; nous sommes très patriotes, et le peuple anglais a l’instinct de ses amis et de ses ennemis.

Les premières ouvertures du gouvernement de juillet à l’Angleterre ne se firent pas par l’organe de M. de Talleyrand. Vous savez qu’après l’administration éphémère et provisoire du maréchal Jourdan, M. Molé fut nommé au ministère des affaires étrangères ; il fut donc officiellement chargé d’annoncer l’avènement du roi des Français au duc de Wellington. Les échanges de notes entre les deux gouvernemens furent faciles ; l’Angleterre avait toujours présent le souvenir de la révolution de 1688 ; elle ne pouvait se refuser d’admettre comme un droit, un fait qui se reproduisait dans sa propre histoire, et d’ailleurs les journées de juillet avaient eu un retentissement si sympathique dans les masses, qu’il eût été impossible à un cabinet ultra-tory, ayant même pour chef lord Londondery et les universitaires de Cambridge, de ne pas reconnaître la royauté élue par le parlement français.

Des lettres particulières annoncèrent bientôt l’influence immense que M. de Talleyrand avait exercée sur Louis-Philippe pour l’acceptation de la lieutenance générale, puis de la couronne ; on devina que par la force des choses M. de Talleyrand serait appelé à une vaste autorité sur les destinées diplomatiques de la branche cadette des Bourbons, et je vous assure que nous fûmes très flattés lorsque le comte Grey déclara, avec quelque certitude, à ses amis politiques, que le prince serait chargé de représenter la France auprès du cabinet tory, alors vivement menacé par les whigs.

Le salon du comte Grey était, comme vous le savez, la réunion de tout