Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/533

Cette page a été validée par deux contributeurs.
529
POÉSIES POPULAIRES DE LA BASSE-BRETAGNE.

pêcheurs chargées d’hommes, d’enfans, de femmes, de vieillards, qui se dirigent vers la haute mer ; toutes cinglent vers le même point. Déjà le son de la cloche se fait entendre de plus près ; la lueur lointaine devient plus distincte ; enfin, l’objet vers lequel accourt cette population réunie, apparaît au milieu des vagues ! — C’est une nacelle sur laquelle un prêtre est debout, prêt à célébrer la messe. Sûr de n’avoir là que Dieu pour témoin, il a convoqué les paroisses à cette solennité, et tous les fidèles sont venus, tous sont à genoux entre la mer qui gronde sourdement et le ciel tout sombre de nuages !… »

Que l’on se figure, s’il se peut, un pareil spectacle ! — La nuit, les flots, deux mille têtes courbées autour d’un homme debout sur l’abîme ; les chants de l’office saint, et, entre chaque répons, les grandes menaces de la mer murmurant comme la voix de Dieu !

Et n’allez pas croire que, pour rester ainsi fidèle à ses vieilles croyances, le paysan breton n’eût aucun danger à courir. La tolérance des patriotes n’aida point à cette constance de foi. Nulle part, au contraire, la persécution ne fut plus continuelle, plus hargneuse. Il y eut des provinces en France où l’on coupa plus de têtes, mais aucune où l’on aiguillonna davantage les susceptibilités, où l’on agaça autant les passions, où l’on chatouilla, avec plus d’entêtement, la colère des masses. On eût voulu faire lever le lion debout pour le frapper plus sûrement à la poitrine ; mais ce fut en vain, le lion resta couché sur ses griffes puissantes. Cependant les attaques ne manquèrent pas, les basses cruautés ne furent pas épargnées. J’en citerai un exemple ; que l’on me pardonne encore cette anecdote, ce sera la dernière.

C’était vers le commencement de mai[1]. On apprit à Morlaix que plusieurs paroisses devaient se réunir, de nuit, pour faire, sous la conduite d’un prêtre réfractaire, la procession annuelle qui appelle la fécondité sur les campagnes. Aussitôt tout fut prêt. Deux compagnies de la garde nationale prirent les armes, et, au jour désigné, elles se rendirent, à la tombée de la nuit, vers un lieu que

  1. Le récit de cette terrible expédition est historique, et de la plus rigoureuse vérité, comme tout ce que nous citons dans cet article. Nous tenons les détails d’un témoin oculaire.