Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
REVUE DES DEUX MONDES.

populo, etc. Il ne trouvait, dans ces paroles, rien de trop solennel pour ses impressions.

Après ces premières effusions de douleur, Dante, cédant peu à peu au besoin d’être consolé, se jeta dans des études plus graves que celles auxquelles il s’était livré jusque-là. Il commença à méditer quelques-uns des auteurs latins qui avaient traité de la philosophie et des sciences, et se mit à fréquenter les lieux où il pouvait entendre des discussions scientifiques et de doctes leçons. Or, tout cela, non plus que le repos, ne se rencontrait alors que dans les cloîtres. Presque tous ceux qui enseignaient quelque chose étaient des moines, et les professeurs laïcs eux-mêmes donnaient leurs leçons dans les monastères.

Dante finit par trouver, dans ces occupations sévères, les consolations dont il avait besoin. Il en trouva même plus qu’il n’en aurait d’abord osé désirer. Il n’oublia point Béatrix : cela n’était point en son pouvoir. Béatrix resta la plus chère et la plus haute de ses pensées ; mais cette pensée ne lui était plus aussi présente, et n’excluait plus aussi absolument qu’autrefois toute autre pensée de la même nature. Il se laissa aller par degrés à aimer, au moins d’imagination, une jeune et belle dame qu’il avait connue dans la société de Béatrix ; et ces nouvelles amours ne furent pas les dernières : il aima et chanta successivement plusieurs femmes.

De 1292 à 1299, les évènemens de la vie de Dante durent être intéressans et variés ; mais on n’en a que des indices vagues et incohérens. Il se maria en 1292, et prit pour femme donna Gemma de la famille de’ Donati, une des plus distinguées de Florence, et dont le chef, Corso Donati, était au moment de figurer avec éclat dans les troubles de la république, à la tête d’une faction opposée à celle de Dante. D’après les traditions qui circulèrent long-temps parmi les Florentins, au sujet de ce mariage, il n’aurait pas été heureux, et Monna Gemma aurait été, pour notre poète, une espèce de Xantippe ; mais Dante n’a pas daigné dire un mot de ses sentimens à cet égard, et ce silence était dans les mœurs de l’époque. Il était beau de parler de sa maîtresse, de sa dame ; on se taisait sur sa femme.

Les six ou sept premiers chants de l’Enfer furent certainement composés dans cet intervalle, mais, selon toute apparence, très différens de ce qu’ils devinrent depuis et de ce qu’ils sont restés à la suite de plusieurs remaniemens. Dante donna sans doute beaucoup de soins et de temps à ce travail ; mais il lui en resta néanmoins pour diverses fonctions publiques, et particulièrement pour des missions qui, bien que l’on ne puisse pas en fixer la date, appartiennent indubitablement à cette portion de sa vie.