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DE L’ALLEMAGNE DEPUIS LUTHER.

seulement par les leçons de l’école, mais par celles de la vie. C’est ce qui le distingue de la plupart des philosophes, et nous reconnaissons dans ses écrits les influences indirectes de la vie réelle. La théologie ne fut pas seulement une science pour lui : il l’apprit, ainsi que la politique, par la pratique autant que par la théorie. Le père de sa maîtresse avait été, en punition de crimes politiques, pendu dans les Pays-Bas. Et il n’est sur la terre aucun endroit où l’on soit pendu plus mal que dans les Pays-Bas. Vous n’avez aucune idée des interminables préparatifs et cérémonies qui ont lieu en pareil cas. Le patient meurt déjà d’ennui, et le spectateur a tout le temps de la réflexion. Je suis donc convaincu que Benoît Spinosa avait beaucoup réfléchi sur l’exécution du vieux Van Ende, et comme il avait auparavant compris la religion avec ses poignards, il comprit alors la politique avec ses cordes. Lisez son Tractatus politicus.

Ma tâche est seulement d’indiquer comment les philosophes sont plus ou moins parens les uns des autres, et je me borne à rapporter leurs degrés de parenté et leur généalogie. Cette philosophie de Spinosa, troisième fils de René Descartes, telle qu’il l’enseigne dans son ouvrage principal, dans son Éthique, est aussi éloignée du matérialisme de son frère Locke que de l’idéalisme de son frère Leibnitz. Spinosa ne se tourmente pas d’une manière analytique avec la question des dernières raisons de nos connaissances. Il nous donne sa grande synthèse, son explication de la Divinité.

Benoît Spinosa enseigne qu’il n’existe qu’une seule substance, qui est Dieu. Cette substance unique est infinie, elle est absolue ; toutes les substances finies émanent de lui, sont contenues en lui, surnagent en lui, plongent en lui ; elles n’ont qu’une existence passagère, accidentelle. La substance absolue se manifeste tant par la pensée infinie que par l’étendue infinie. Toutes deux, la pensée infinie et l’étendue infinie, sont deux attributs de la substance absolue. Nous ne reconnaissons que ces deux attributs : Dieu, la substance absolue, a peut-être encore beaucoup d’autres attributs que nous ne connaissons pas. Non dico me Deum omnino cognoscere, sed me quœdam ejus attributa, non autem omnia, neque maximam intelligere partem.

La sottise et la méchanceté purent seules donner à une telle doc-