Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 4.djvu/320

Cette page a été validée par deux contributeurs.
316
REVUE DES DEUX MONDES.

d’activité ; de là partent comme autant de pelotons détachés du corps principal, qui vont camper partout où ils découvrent une veine de travail. Infatigables comme ils sont, et souples à tous les genres de vie, ils ont bientôt dépisté la concurrence. Les Auvergnats n’y ont pas tenu ; les nouveaux arrivans leur enlèvent peu à peu leurs derniers postes, et, aussitôt conquis, y font bonne garde. À eux les rangs supérieurs de la domesticité ; à leurs rivaux ils abandonnent le cri dans les rues, l’exploitation des cheminées, le transport de l’eau et la vente du charbon.

Le Savoyard, c’est l’Auvergnat civilisé, avec tout autant de ruse et de ténacité, mais avec moins de violence. Les angles sont adoucis dans son caractère comme sur son visage. Il porte une prudence moins défiante et moins farouche : son abord est plus ouvert ; sa main plus intelligente ou moins brutale ; sa conduite, un jeu uni et serré plutôt qu’un tissu d’habiles expédiens. L’Auvergnat est resté dans la rue, avec sa parole rude et son enveloppe carrée ; il s’y enivre toujours, se querelle, fraude le fisc de quelques sous ou de quelques centimes, et ne porte jamais plus haut ni ses goûts ni ses calculs. Le Savoyard, lui, s’insinue davantage dans nos habitudes de civilisation ; il s’accommode également d’une borne ou d’un antichambre, du salon ou du comptoir. Pourquoi le repousserait-on ? Cette figure rosée et naïve, cette modestie de maintien, doit lui ouvrir toutes les portes. Puis, après ce premier abord si prévenant, on découvre en lui des qualités solides, une probité à l’épreuve, une complaisance que rien ne lasse, une douceur et une régularité de mœurs qui ne se démentent point : une écorce agréable, et, avec cela, un fond sûr ; ce qu’il faut pour acquérir, et ce qui sert aussi pour conserver.

Les Savoyards ont un autre avantage sur les émigrans de toute nature et de tout pays. Ceux-ci vivent dispersés dans Paris, et sans lien comme sans organisation. Les gens d’outre Loire et ceux de la Lorraine logent en garni, dans de misérables taudis, en compagnie des premiers survenans que le hasard amène, connus ou inconnus, ouvriers laborieux ou canaille oisive et éhontée ; et quand ils se voient, les enfans du même village, ce n’est qu’au travail ou au cabaret. Les Auvergnats vivent autrement, mais non pas mieux ; ils sont chez eux, dans des greniers enfumés qu’ils ont pris à loyer,