Page:Revue des Deux Mondes - 1834 - tome 3.djvu/144

Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
REVUE DES DEUX MONDES.

jouer, s’il en était temps encore, et de soustraire Merowig à l’influence et aux mauvais conseils de Brunehilde, il partit aussitôt pour Rouen, bien résolu de les séparer l’un de l’autre et de faire rompre leur union[1]. Cependant les nouveaux époux, tout entiers aux premières joies du mariage, n’avaient encore songé qu’à leur amour, et malgré son esprit actif et plein de ressources, Brunehilde se vit prise au dépourvu par l’arrivée du roi de Neustrie. Pour ne pas tomber entre ses mains dans le premier feu de sa colère, et gagner du temps s’il était possible, elle imagina de se réfugier avec son mari dans une petite église de saint Martin, bâtie sur les remparts de la ville. C’était une de ces basiliques de bois, communes alors dans toute la Gaule, et dont la construction élancée, les pilastres formés de plusieurs troncs d’arbres liés ensemble, et les arcades nécessairement aiguës à cause de la difficulté de cintrer avec de pareils matériaux, ont fourni, selon toute apparence, le type originel du style à ogives, qui, plusieurs siècles après, fit invasion dans la grande architecture[2].

Quoiqu’un pareil asile fût très incommode à cause de la pauvreté des logemens, qui, attenant aux murs de la petite église et participant à ses privilèges, servaient d’habitation aux réfugiés, Merowig et Brunehilde s’y établirent, décidés à ne point quitter ce lieu tant qu’ils se croiraient en péril. Ce fut vainement que le roi de Neustrie mit en usage toutes sortes de ruses pour les attirer dehors ; ils n’en furent point dupes : et comme Hilperik n’osait employer la violence, craignant d’attirer sur sa tête la redoutable vengeance de saint Martin, force lui fut d’entrer en capitulation avec son fils et sa belle-fille ; ils exigèrent, avant de se rendre, que le roi leur promît, sous le serment, de ne point user de son autorité pour les séparer l’un de l’autre. Hilperik fit cette promesse, mais d’une manière adroitement perfide, qui lui laissait toute liberté

  1. Hæc audiens Chilpericus, quòd scilicet contra fas legemque canonicam uxorem patrui accepisset, valdè amarus, dicto citiùs ad suprà memoratum oppidum dirigit. Greg. Turon. Hist., lib. v, pag. 233.
  2. At illi cùm hæc cognovissent, quòd eosdem separare decerneret, ad basilicam sancti Martini, quæ super muros civitatis ligneis tabulis fabricata est, confugium faciunt, Ibid.