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sent en Autriche. Quant à la masse des libraires, ils doivent, comme tous ceux qui n’arrivent pas les premiers dans ce monde, se contenter des restes du festin.

Deux choses doivent encore porter parfois de rudes échecs à la librairie allemande. C’est le pouvoir absolu que les gouvernemens exercent envers elle ; la censure, qui la met à l’étroit, et souvent la proscription qui la frappe. C’est ainsi qu’en Autriche pas un sujet de l’empire ne peut faire imprimer un livre, dans le pays même ou ailleurs, sans avoir d’abord soumis, non pas seulement son livre, mais son manuscrit, à l’examen des nouveaux inquisiteurs. C’est ainsi qu’en Prusse, une ordonnance du ministère vient de frapper de proscription tous les ouvrages publiés par le libraire Campe, de Hambourg, quels que soient ces ouvrages, parce qu’il est l’éditeur de M. Heine. L’autre danger, non moins redoutable pour les éditeurs, c’est la contrefaçon. Chez nous, nous avons bien aussi la contrefaçon ; mais du moins elle doit, pour s’exercer librement, passer les frontières et transporter ses presses à Bruxelles, d’où les ouvrages contrefaits peuvent s’en aller par milliers en Angleterre, en Allemagne et en Russie, mais ne reviennent pas en France, ou du moins n’y reviennent que par contrebande, en sorte que si elle paralyse le débit de nos livres à l’étranger, elle ne l’entrave du moins presque pas dans le pays.

Mais ici la contrefaçon se pose où bon lui semble, dans la province, dans la ville même où les ouvrages à contrefaire ont leur légitime éditeur. Pour peu que l’auteur eût de complaisance, il pourrait corriger à la fois les épreuves de ses deux éditions. Par là il est aisé de comprendre quels en sont les funestes résultats. Les ouvrages contrefaits marchent en concurrence directe avec les éditions originales, et ceux-là sont à si bas prix, et celles-ci sont toujours si chères ! Les poésies de Novalis, publiées par Tieck, coûtent sept francs ; le même livre, imprimé à Stuttgardt par Macklau, coûte quinze sous. Ce n’est pas que l’on n’ait déjà voulu plusieurs fois remédier à ce vol manifeste ; ce n’est pas qu’il n’y ait eu mainte belle ordonnance de la part de la diète contre les contrefacteurs, mais jusqu’ici le mal est à peu près resté le même. On a contrefait à Stuttgardt, à Vienne, à Carlsruhe, à Gotha, à Hildburghausen, les meilleures productions de la littérature allemande. Dans ce moment-ci, le poète Uhland discute avec son ami Menzell, à la chambre des députés de Wurtemberg, une nouvelle loi contre les corsaires de la librairie, et l’on contrefait en même temps ses poésies à Cannstadt, c’est-à-dire à trois quarts de lieue de lui. Le mal vient de ce que la police allemande est moins sévère pour les livres contrefaits que pour les livres politiques ; si elle voulait prêter à la plaie dont se plaint journellement la bonne librairie la moitié de l’attention