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DESTINÉES DE LA POÉSIE.

diadème de cèdres, dans le désert nu et stérile d’Héliopolis. À la fin d’une journée de route pénible et longue, à l’horizon encore éloigné devant nous, sur les derniers degrés des montagnes noires de l’Anti-Liban, un groupe immense de ruines jaunes, dorées par le soleil du soir, se détachaient de l’ombre des montagnes et répercutaient les rayons du couchant ! Nos guides nous les montraient du doigt, et criaient : Balbek ! Balbek ! C’était en effet la merveille du désert, la fabuleuse Balbek qui sortait tout éclatante de son sépulcre inconnu pour nous raconter des âges dont l’histoire a perdu la mémoire. Nous avancions lentement aux pas de nos chevaux fatigués, les yeux attachés sur les murs gigantesques, sur les colonnes éblouissantes et colossales qui semblaient s’étendre, grandir, s’allonger à mesure que nous en approchions. Un profond silence régnait dans toute notre caravane, chacun aurait craint de perdre une impression de cette scène en communiquant celle qu’il venait d’avoir ; les Arabes mêmes se taisaient et semblaient recevoir aussi une forte et grave pensée de ce spectacle qui nivelle toutes les pensées. Enfin, nous touchâmes aux premiers blocs de marbre, aux premiers tronçons de colonnes que les tremblemens de terre ont secoués jusqu’à plus d’un mille des monumens mêmes, comme les feuilles sèches jetées et roulées loin de l’arbre après l’ouragan. Les profondes et larges carrières qui déchirent, comme des gorges de vallées, les flancs noirs de l’Anti-Liban, ouvraient déjà leurs abîmes sous les pas de nos chevaux ; ces vastes bassins de pierre dont les parois gardent encore les traces profondes du ciseau qui les a creusées pour en tirer d’autres collines de pierre, montraient encore quelques blocs gigantesques à demi détachés de leur base, et d’autres entièrement taillés sur leurs quatre faces, et qui semblent n’attendre que les chars ou les bras de générations de géans pour les mouvoir ; un seul de ces moellons de Balbek avait soixante-deux pieds de long sur vingt-quatre pieds de largeur, et seize pieds d’épaisseur. Un de nos Arabes, descendant de cheval, se laissa glisser dans la carrière, et grimpant sur cette pierre en s’accrochant aux entaillures du ciseau et aux mousses qui y ont pris racine, il monta sur ce piédestal, et courut çà et là sur cette plate-forme, en poussant des cris sauvages ; mais le piédestal écrasait par sa masse l’homme de nos jours, l’homme disparaissait devant son œuvre : il