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puissance, ont résolu dans leur ame d’en abuser éternellement, qu’ils ont reconnu la nécessité du christianisme pour leurs peuples ; et c’est, après tout, par un sentiment d’humanité envers les pauvres nations qu’ils se donnent tant de peine pour conserver cette foi.

Le sort final du christianisme est ainsi dépendant de sa nécessité. Pendant dix-huit siècles, cette religion a été un bienfait pour l’humanité ; elle a été providentielle, divine, sainte. Tout ce qu’elle a fait en faveur de la civilisation, en affaiblissant les forts, en donnant des forces aux faibles, en liant les nations par un même sentiment, par un même langage, et tout ce que ses apologistes lui ont attribué de grand, tout cela est encore peu de chose comparé à cette immense consolation qu’elle répandait parmi les hommes. Une gloire éternelle appartient au symbole de ce dieu souffrant, de ce dieu crucifié, à la couronne d’épines, dont le sang a coulé comme un baume adoucissant sur les plaies de l’humanité. Le poète doit surtout reconnaître avec respect la sainte sublimité de ce symbole. Tout ce système symbolique qui éclate dans les arts et dans la vie du moyen-âge, excitera, dans tous les temps, l’admiration du poète. Quelle colossale unité dans l’art chrétien, et surtout dans l’architecture ! Voyez ces dômes gothiques, comme ils forment bien un seul son avec le culte, et comme se révèle bien en eux l’idée de l’église elle-même ! Là, tout s’élève vers le ciel, tout se transsubstancie : la pierre s’élance en bourgeons, en feuillage, et devient arbre ; les fruits de la vigne et du froment deviennent du sang et de la chair ; l’homme devient dieu, Dieu devient pur esprit ! Quelle étoffe précieuse et féconde pour les poètes que cette vie chrétienne du moyen-âge ! Le christianisme seul pouvait répandre sur cette terre tant de hardis contrastes, des douleurs si colorées, des beautés si hasardeuses ; tout cela si grand, si merveilleux, si inoui, qu’on dirait que rien de pareil n’a jamais existé dans la réalité, et que tout cela a été enfanté dans le délire d’une fièvre, délire colossal de quelque dieu fou. La nature elle-même semblait alors se travestir sous des formes fantastiques ; et bien que l’homme, plongé dans les profondeurs de ses abstractions, se détournât d’elle avec chagrin, elle l’éveillait quelquefois d’une voix à la fois si douce et si terrible, si prodigieusement tendre, et si en-