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DE L’INSTRUCTION DU PEUPLE.

il faut en être ; sa nation, il faut l’aimer. Si vous vous placez au centre du temps et du peuple, si vous avez des connaissances nombreuses et positives, l’esprit philosophique, une raison indépendante, un cœur ardent, un sens élevé, qui vous éloigne à la fois des choses vulgaires et des propositions paradoxales, un style lumineux et ferme qui puisse éclairer et nourrir tous les esprits, une probité sévère qui s’arme d’un foudroyant mépris contre toutes les allures des spéculateurs et des intrigans, vous pouvez aspirer à l’honneur d’être les rédacteurs d’une encyclopédie populaire. MM. Leroux et Reynaud n’ont fait que se rendre justice avec une noble fierté, en jetant les fondemens d’une semblable entreprise, en l’entamant avec vigueur, en appelant à une œuvre immense et commune les savans et les jeunes écrivains, en portant eux-mêmes le poids le plus lourd de cette grande affaire, en imprimant à l’ordonnance de tous les matériaux une unité morale qui n’en mutile jamais ni l’intégrité, ni la vérité.

Depuis deux ans ces deux écrivains philosophes ont publié, dans la Revue Encyclopédique, une série de travaux féconds en notables résultats. Il est impossible de sentir et d’exprimer plus vivement l’originalité philosophique de notre siècle, et de mieux établir la loi progressive et continue qui préside à l’éducation du genre humain. Ces deux écrivains, liés entr’eux par une intime amitié, mettent en commun des facultés puissantes, mais diverses, et sont animés du même sentiment, de l’amour de la science et du peuple. Il y aura dix ans dans quelques mois que M. Leroux a fondé le Globe. Il a assisté à tous les mouvemens de la politique, de la science et de l’art qui se sont accomplis depuis cette époque ; il a causé avec tous les hommes d’état, tous les savans et tous les artistes qui occupent la scène ; il a été le témoin et quelquefois le confident de toutes les ardeurs et de toutes les ambitions ; que de chutes et d’élévations n’a-t-il pas vues ! Le spectacle a varié, le spectateur est resté le même, toujours simple, toujours désintéressé, toujours fier, toujours oublieux de lui-même. Je me trompe néanmoins ; quelque chose a changé dans M. Leroux, son esprit, qui s’est singulièrement discipliné et réglé. Ce philosophe, qui est de la famille de Spinosa et de Diderot, n’avait rien à gagner pour les idées en étendue, mais en économie ; non pas en puissance,