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qui devait un jour réunir toute l’Helvétie. Genève, placée au milieu de ce triangle populaire, sentit à son tour le feu que la liberté lui soufflait au visage. En 1519, elle contracta une alliance avec Fribourg, et bientôt après elle se lia de combourgeoisie avec Berne : des enfans lui naquirent, qui devinrent de grands hommes ; des apôtres apparurent, qui prêchèrent la liberté au milieu des supplices. Bonnivard, jeté pour six ans dans les cachots du château de Chillon, y resta attaché par une chaîne à un pilier ; Pecolat se coupa la langue avec ses dents au milieu des tortures, et la cracha au bourreau, qui lui disait de dénoncer ses complices ; enfin Berthelier, conduit à l’échafaud sur la place de l’Île, et pressé de demander pardon au duc, répondit : « C’est aux criminels à demander pardon, et non pas aux gens de bien. Que le duc demande pardon à Dieu, car il m’assassine ! » Et il posa sa tête sur le billot.

La religion réformée, qui fit faire un si grand pas aux peuples, que, fatigués de ce pas, ils se sont reposés depuis lors, entra à Genève, après avoir parcouru déjà une grande partie de l’Allemagne et de la Suisse : ce fut une puissante auxiliaire à la liberté, car elle ajouta les haines religieuses aux haines politiques. L’évêque Pierre de la Beaume quitta Genève en 1535, pour n’y rentrer jamais, et la république fut proclamée.

En 1536, Calvin s’établit à Genève : le conseil lui offrit une place de professeur de théologie. L’austérité de ses mœurs, l’âpreté de son éloquence, la rigidité de ses principes, lui donnèrent sur ses concitoyens une influence que ne put lui faire perdre le supplice de Servet, et lorsqu’il mourut en 1554, il laissa la petite ville de Genève capitale d’un nouveau monde religieux : c’était la Rome protestante.

Le duc Charles-Emmanuel de Savoie fit en 1602, pour reprendre cette ville, une dernière tentative qui échoua : elle est connue dans les annales genevoises sous le nom de l’Escalade, parce qu’il fit escalader les murailles par un corps d’élite et surprit la ville sans défense au milieu de la nuit. Il n’en fut pas moins chassé par les habitans à demi nus et à moitié armés, qui consacrèrent l’anniversaire de cette victoire par une fête nationale que l’on célèbre encore aujourd’hui.

Les dix-septième et dix-huitième siècles furent des siècles de re-