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phique, l’organisme vivant de l’humanité dans les siècles antérieurs. Agrandissant ainsi le domaine de l’histoire, elle y ramena la philologie, l’archéologie, et en général toutes les sciences qu’elle fit converger à ce foyer commun. Recueillant tout, rapprochant tout, religion, lois, mœurs, coutumes, traditions, langues, littérature développée ou informe, et spécialement ces chants spontanés qui furent partout les premières annales des peuples, et l’expression la moins équivoque de leur caractère individuel, de leur vie morale et intime, elle s’efforça de débrouiller leurs origines si obscures et leur filiation si incertaine. Une pareille méthode, on le sent bien, provoquait des hardiesses de tout genre, laissait aux conjectures les plus hasardées un vaste champ, et en exigeant qu’on s’isolât des impressions que l’homme reçoit de tout ce qui l’environne, pour se pénétrer de l’esprit, des sentimens, des passions d’une autre société et d’une autre époque, mettait en jeu une sorte de faculté de divination. À défaut de documens plus directs et plus étendus, l’historien, cherchant à saisir, dans les traditions héroïques et mythiques d’un peuple, son génie propre, et, pour ainsi dire, sa forme particulière, se flattait de le recomposer sans autre secours, à peu près comme Cuvier recomposait des animaux entiers de genre inconnu à l’aide d’un seul fragment de leur structure osseuse, avec cette différence toutefois que le célèbre anatomiste prenait pour point de départ un déblais d’organisation, et l’historien la force organisatrice elle-même. On ne peut nier que plusieurs écrivains, dont l’Allemagne s’honore à juste titre, n’aient fait preuve dans ce travail singulier, je dirais presque dans cette espèce de féerie scientifique, d’une étonnante sagacité. Il suffit de nommer Niebuhr, pour rappeler tout ce qu’a d’ingénieux, de brillant, mais aussi de conjectural, la méthode qu’il a illustrée en l’appliquant, souvent avec un rare bonheur, à l’histoire des premiers temps de Rome. Espérons que sa mort prématurée ne privera pas l’Europe de la suite d’un ouvrage qui a jeté un si grand éclat, en ramenant les faits matériels de l’humanité sous la puissance de l’esprit qui les engendre, les anime et les vivifie.

Ce n’est pas qu’on ne puisse aisément abuser de ces procédés a priori, surtout lorsqu’on les sépare d’une profonde connaissance des monumens, et que leur emploi n’offre fréquemment quelque