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ASPIRANT ET JOURNALISTE.

ment parce que les courtisans lui avaient persuadé qu’un roi de France, témoins tous ses aïeux, ne pouvait se passer décemment d’une amie en titre. Ruse de courtisans qui voulaient battre en brèche le crédit de M. Decazes. Louis xviii savait bien qu’on murmurait, mais il était fier de ces attaques. Pour que le pavillon de Saint-Ouen dit mieux à tout le monde qui l’avait donné, le roi commanda à M. le baron Gérard un portrait en pied, qui devait être placé dans un des salons de madame du Cayla, et rester là comme une signature au bas d’un contrat. M. Gérard fit le portrait, qu’on porta aux Tuileries et de là à Saint-Ouen.

Pour l’inaugurer et pour pendre convenablement la crémaillère, comme nous disons, nous autres bourgeois, dans ce petit château royal, Louis xviii, qui savait son Suétone, se rappela les fêtes de Bayes ; mais il se rappela aussi Pétrone, et il eut peur. La presse l’effrayait, il hésita ; les bons conseils de ses amis le raffermirent. Il fit arranger une fête au milieu de laquelle il devait paraître en personne et en peinture ; la musique de la chapelle et du Conservatoire reçut ordre d’embellir cette solennité : des invitations furent faites ; des tables furent dressées dans les jardins et chargées de rafraîchissemens ; à un signal convenu, un rideau vert, cachant le chef-d’œuvre de M. Gérard, — c’était une expression consacrée alors pour tout ce que produisait ce peintre, — devait s’ouvrir aux cris de vive le roi ! Tout était bien convenu et le jour pris. — Ce jour c’était le 3 mai. La politique se trouvait aussi de la partie. Cependant, la veille, Louis xviii fut ébranlé ; on se moquait si ouvertement de cette parodie des galanteries de François i et de Louis xiv, qu’il résolut de ne pas aller à Saint-Ouen. Il avait prié le comte d’Artois de s’y rendre : autrefois, cet aimable seigneur, — c’est le nom flatteur que les dames du Vauxhall de Torré lui avaient donné unanimement en 1779, — n’aurait pas manqué d’obéir à un ordre de cette nature. Mais il avait vieilli, il avait pris le rôle d’un homme revenu des folies de l’amour : il était sage, pieux, et puis il faisait de l’opposition ; il avait élevé le pavillon Marsan contre le pavillon de Flore, et M. de Latil contre M. Decazes. Il refusa net. Grand scandale à la cour, bonne matière à railleries pour les salons et les journaux. On se passera donc du comte d’Artois, et le roi n’ira pas. Ce sera