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ITALIE. — ROYAUME LOMBARDO VÉNITIEN.

de Manzoni n’a fait que s’accroître : il a fait école, il a eu de nombreux imitateurs, et est devenu le chef du romantisme italien. Mais Manzoni n’est pas seulement connu comme poète : le roman des Promessi Sposi, qui a eu un si grand succès en Italie, y a rendu son nom très populaire. La littérature italienne, si riche dans tous les autres genres, manquait de romans en prose ; car les plus anciens romans italiens sont à peine connus des érudits, et les autres sont inconnus à tout le monde. Les contes de Boccace, de Bandello, et des autres novellieri, où Shakespeare et La Fontaine ont puisé avec tant de bonheur, quoique très intéressans, manquent des développemens nécessaires à un roman. Les vrais romans italiens sont en vers, comme l’étaient les romans provençaux[1] d’où l’Arioste, le Boiardo le Pulci, etc., ont tiré les sujets de leurs poèmes. Au commencement de notre siècle, Foscolo essaya de remplir cette lacune de la littérature italienne ; mais dans son Jacopo Ortis, qui n’est qu’une imitation du Werther de Gœthe, il manqua de l’originalité nécessaire à un chef d’école. Manzoni trouva donc le genre presque neuf lorsqu’il composa ses Fiancés, et le succès éclatant qu’obtint cet ouvrage prouva que l’auteur avait bien réellement atteint le but qu’il se proposait. Le roman des Fiancés, accueilli avec un vif enthousiasme dans toutes les parties de l’Italie et qui y conserve encore aujourd’hui toute sa popularité, fut reçu, au contraire, assez froidement en France. Nous pensons que cette différence d’accueil doit être en partie attribuée à une cause tout-à-fait indépendante du talent de l’auteur. Un ouvrage destiné à être populaire doit répondre d’abord au be-

  1. J’espère qu’on ne voudra pas opposer à ce que j’avance ici, ce vers si connu du Dante
    « Versi d’amore e prosa di romanzi »
    (Purgatoire, c. 26)

    car prose chez les anciens Provençaux signifiait ce genre de poésie grave et élevée dont ils se servaient pour célébrer les faits des héros : c’est dans ce sens que le Dante a employé en italien le mot prosa.