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vérité la plus vraie n’est jamais assez évidente, qui ne voient pas volontiers dans un passé lointain une leçon pour le présent.

Ayant appelé l’imagination au secours de la raison, contre l’usage ordinaire, ayant cherché une enveloppe vivante et réelle pour une pensée intérieure et longuement méditée, il devait se trouver entraîné, par un penchant involontaire, vers l’histoire moderne, l’histoire que nous pouvons toucher du doigt ; il a choisi le 18 brumaire. On sait comment le vainqueur d’Italie sacrifia la liberté à son ambition ; comment, après avoir promené ses aigles triomphantes dans toutes les capitales de l’Europe, il expia sur le rocher de Saint-Hélène le crime de Saint-Cloud.

En regard du principe militaire et despotique, l’auteur, quel qu’il soit, puisqu’il a eu la modestie de ne pas révéler son nom, a placé un cœur enthousiaste et pur, un cœur à qui les misères de la vie et les bassesses de la société n’ont pas encore appris le découragement, et qui, au moment même où l’exil le relègue loin de sa terre natale, ne renonce pas à toute espérance ; qui, loin d’insulter, comme Brutus, à la réalité de la vertu, garde à l’avenir de la liberté une foi sincère et profonde. Ce héros, c’est d’Egmont.

Sauf quelques légers anachronismes dont l’auteur anonyme s’accuse ingénument, l’histoire est fidèlement retracée. Tous les détails du récit sont écrits avec une sévère conscience. Le style est clair et pur : seulement il manque parfois d’essor et de souffle. Trop souvent la parole concise et sentencieuse du publiciste déguise et masque l’imagination du romancier. La pensée, sous ce vêtement solide et serré, n’a pas toujours ses coudées franches, et doit souvent imposer silence à ses fantaisies ; mais, à tout prendre, et tel qu’il est, d’Egmont est un livre plein de substance et d’idées, un livre nourri, qui sent, comme les pages de l’orateur grec, la lampe et l’étude. C’est un beau début.


L’Écolier de Cluny[1]. Il y a deux parts bien distinctes dans l’Écolier de Cluny, deux parts à la division desquelles, je m’assure, l’auteur n’a guère songé, une érudition superficielle et hâtive, un pastiche insouciant, une mosaïque de vieux et de moderne langage, assez paresseusement composée, à laquelle je renoncerais de grand cœur, puis à côté, une imagination vive, ardente et quelque peu dévergondée, qui prodigue les images et les couleurs, sans prévoir les contrastes et les oppositions, les ombres sourdes, ou les lumières éblouissantes, une fantaisie poétique qui déborde en similitudes, en allusions, en souvenirs de toute sorte, qui mêle et confond tous les élémens de la rêverie et de la discussion, une folle débauche qui dépense aventureusement le meilleur et le plus pur de ses forces sans songer au lendemain. Sous une provision d’archaïsmes assez gloutonnement digérés on démêle une inspiration énergique, une verve abondante et neuve.

Le sujet, qui se trouve indiqué dans quelques lignes de Brantôme, n’a pu lui-même être choisi que par un jeune homme assez hardi ou assez aveugle pour

  1. Chez Fournier, 1 vol. in-8o.