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LETTRE SUR ARGOS ET MYCÈNES.

apaiser les mânes de mon père ?… Ah ! c’est Électre, c’est ma sœur… Ô Jupiter, fais que je puisse venger la mort de mon père. »

électre.

« Ô mon père, envoyée par les maîtres de ce palais, j’apporte des libations. Je frappe à grands coups ma poitrine ; j’ai déchiré mon visage, et le sang y ruisselle…

« Malheureux foyers !…. triste séjour ! plus de soleil pour toi ! d’odieuses tenèbres t’enveloppent depuis la mort de ton maître…

« La terre féconde a bu du sang ; le trépas vengeur a germé, il doit éclore… En vain se réuniraient tous les fleuves de l’univers, ils ne laveraient point un parricide…

« Ô Mercure, dis-moi si mes vœux sont agréables aux divinités infernales qui règnent où mon père habite, et à la terre elle-même qui enfante, nourrit et reprend tout. En répandant ces libations funèbres, mon père, je t’appelle ; jette un regard de pitié sur moi et sur ton cher Oreste ; fais-nous rentrer dans ton palais. Nous sommes errans, trahis par celle à qui nous devons le jour, elle a donné ton lit à Égyste, le complice de ta mort. Je suis esclave, Oreste est pauvre et fugitif, tandis que les coupables vivent dans les plaisirs et jouissent insolemment du fruit de tes travaux ; fais qu’Oreste revienne et triomphe. Écoute ma prière, ô mon père ! accorde-moi d’avoir un cœur plus chaste et des mains plus pures que ma mère. Voilà mes vœux pour tes enfans. Quant à tes ennemis, parais à leurs yeux armé de la vengeance ; viens leur donner la mort, comme ils te l’ont donnée. Telles sont les imprécations que je mêle à mes prières ; entends nos voix[1]. » Et la jeune fille répand un lait pur sur ce tombeau que j’ai devant moi, et, malgré moi, je parcours le monument pour y chercher les cheveux d’Oreste.

Maintenant avançons vers Mycènes, et voyons ce qu’il en reste encore.

Mycènes était bâtie sur une montagne qui se détache entièrement des montagnes voisines. On reconnaît les restes de deux portes, dont la plus remarquable est la porte aux Lions. Tous les voyageurs ont admiré ce bas-relief cyclopéen représentant deux lions en regard qui appuient leurs pieds de devant sur une colonne. Le docteur Clarke voit dans ces animaux deux tigres ou deux panthères, et les considère comme ayant appartenu à l’ancienne mythologie des Mycéniens. Les deux lions sont là comme sur un écu d’armoirie, et vous eussiez pris ce vénérable bas-relief pour le blason de l’antique Mycènes. « Je n’ai point vu, dit M. de Châteaubriand, même en Égypte, d’architecture plus imposante ; et le désert où elle se trouve, ajoute encore à sa gravité. » Les murs qui avoisinent cette porte sont formés d’énormes quartiers de rocs ; il a

  1. Eschyle, tragédie des Chephores, acte premier.