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BARNAVE.

se confondent, mes yeux crèvent d’étincelles ; époques, caractères, personnages, le fou, l’homme d’état, les têtes coupées, courtisane et reine, Pétion et Marat, réalité et vision, tout se mêle, s’ébranle, tourbillonne autour de moi. Où suis-je ? au bout de mon rêve évidemment ; mais je m’y accroche encore avec une sorte de fureur galvanique ; trop heureux enfin qu’une boutade propice me jette, tout haletant et brisé, de l’autre côté du Rhin, où je repasse à l’aise mes frayeurs, où j’analyse mes émotions, où je me délasse platoniquement en songeant à cette belle cousine Hélène, qui a pu accorder bien autre chose, mais non pas un seul baiser de son visage.

La réflexion suscite quelques objections sérieuses à ce livre, mais pas de réaction violente, comme parfois il en succède à certains entraînemens de lecture ; pas un grain de rancune en retour des impressions de toutes sortes dont il nous a harcelés. Et quant aux objections elles-mêmes, l’auteur en réduit d’avance un bon nombre à néant par l’aveu qu’il nous fait de son dessein aventureux et de ses confusions volontaires. Ce n’est en effet ni un pur roman, ni encore moins une histoire qu’il a prétendu nous donner ; c’est une histoire à sa manière, à son usage, dans laquelle il a lâché sa romanesque saillie et toute la pétulance de ses bouffées d’artiste. Et puis, son héros d’ailleurs, celui qui endosse pour sa part la responsabilité du récit, n’est-il pas un Allemand, un Wolfenbuttel, un homme à préjugés de famille, ayant un faible inné pour les rois et les reines, à qui sa cousine Hélène dit fort justement qu’il n’a vu de la cour que la surface, et du peuple que la lie ? Nous sommes donc bien loin de blâmer, dans ce livre, les sympathies contraires aux nôtres, les interprétations flatteuses au profit des plus nobles personnages, les légèretés et même les charges de pinceau dans quelques portraits. Allez, artiste, si une fois vous désespérez de reproduire à cette distance la pure et entière vérité, si vous vous égarez à sa poursuite, si vous doutez de l’atteindre, — allez, artiste, dans le doute, soyez clément ; imputez beaucoup à la folie et à l’erreur ; adoucissez, effacez