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DE LA PROPRIÉTÉ.

n’a pu y résister ; Rome ne s’en est sauvée que par le despotisme, tandis que nous sommes arrivés en même temps à la liberté et à la propriété civile : position admirable que nous envie l’Angleterre, d’où il ressort clairement que la liberté doit se fortifier par le développement le plus complet de la propriété pour tous les individus d’une association.

Ainsi ce serait tomber dans une étrange illusion que de croire nécessaire d’attaquer la propriété ; ce serait faire après coup la théorie d’un acte terrible qui s’est d’autant mieux accompli, qu’il n’avait pas été conçu à priori, et qui est devenu pour la France un droit acquis, sur lequel elle peut fonder l’avenir le plus serein et le plus pur. Je ne parle pas des tempêtes qui passent.

Mais n’y a-t-il pas des faits nouveaux qui doivent donner à la propriété un autre caractère ? Ainsi les anciens ne connaissaient pas la propriété littéraire, industrielle ; pour eux, les chants d’Homère et de Pindare appartenaient à tout le monde ; il ne leur tombait pas dans l’esprit que pendant un certain laps de temps, le poète pût revendiquer pour lui et ses enfans la propriété de ses vers : tant chez les anciens d’une imagination si extérieure et si large, le souci de l’individualité venait se perdre dans le dévoûment de tous à tous. Nous concevons au contraire fort bien que l’héritier de Voltaire ait pu, pendant quelques années, tirer quelque avantage de cette succession du génie. Évidemment dans l’héritage du poète il faut faire un départ ; son inspiration, ses œuvres appartiennent à la société, propriété commune et immortelle à laquelle elle ne saurait renoncer ; d’un autre côté, l’artiste a ses droits sur son œuvre ; il peut et doit vivre de sa création et de son travail, lui et pendant un temps les siens. La difficulté délicate consiste à déterminer le laps de temps pendant lequel les ouvrages des grands hommes peuvent être affermés aux besoins de leurs héritiers. Qu’est-ce à dire ? si ce n’est toujours le même problème de combiner les droits de l’individualité et ceux de l’association ?

Que le commerce et l’industrie augmentent et varient les