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RÉVOLUTION POLONAISE.

seule position avantageuse était le bois d’aunes où s’était décidée la victoire du 20 ; occupé tantôt par eux, tantôt par les Russes, il resta enfin à ces derniers. Skrzynecki, voyant sa division plier, réussit à ranimer le courage de ses soldats ; mais Zymirski étant tombé sous leurs yeux, emporté par un boulet de canon, le centre, sous les ordres de Szembek, fléchit. Quant à Chlopicki, il poussa la bravoure jusqu’à la témérité ; après avoir eu deux chevaux tués sous lui, il venait d’être atteint d’une balle au pied, sans vouloir descendre de cheval, lorsqu’un éclat d’obus le renversa blessé aux deux jambes. Ce spectacle augmenta le désordre, et le centre, n’étant plus appuyé, se débanda. On a beaucoup vanté l’intrépidité intempestive de Chlopicki ; mais, comme on le voit, elle était plutôt funeste qu’utile à sa patrie.

Diebitch, pour décider la victoire, fait alors avancer le célèbre régiment des cuirassiers surnommés les immortels : ils s’élancent sur l’infanterie, presque tous tombent sous les baïonnettes. L’armée russe s’arrête à son tour, les Polonais reprennent courage ; mais il n’y avait point d’unité, point de direction dans leurs rangs. Le soir même et pendant toute la nuit, l’armée repassa le pont pour rentrer à Varsovie. En vain Szembek demanda au généralissime un détachement, jurant de reconquérir la position que venait de perdre l’armée ; en vain d’autres voulaient-ils tomber sur l’ennemi pendant la nuit, la retraite fut décidée dans la crainte d’une prochaine débâcle de la Vistule. On abandonna donc le champ de bataille, et même le faubourg de Praga, après avoir incendié toutes les maisons qui obstruaient la tête de pont. Tels furent les résultats d’une bataille où commandaient à la fois deux généraux, dont l’un était incapable, et l’autre attaqué d’aliénation mentale. Cependant la conduite de Radziwill est à l’abri de tout reproche ; il a fait ce que le dictateur n’avait osé tenter ; il a préféré risquer sa réputation plutôt que de trahir honteusement la confiance de l’armée et de la nation, en refusant de marcher à sa tête.