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VOYAGES.

une influence si fatale sur notre séjour à Tonga, pouvait avoir quarante-cinq ans ; sa taille n’excédait pas cinq pieds trois pouces. Ses belles formes accusaient une grande vigueur musculaire ; sur toute sa personne régnait une propreté remarquable ; comme tous les insulaires, il portait autour des reins un large jupon d’étoffe d’écorce, sans aucun ornement qui annonçât son rang suprême. Sa figure imposante empruntait un caractère singulièrement noble d’un front élevé qui allait s’élargissant vers les tempes, et que couronnaient des cheveux bruns, rares et frisés. Son regard était doux et vif en même temps ; ses lèvres minces et vermeilles affectaient souvent un sourire qui n’avait rien de franc. Enfin sa figure, sa voix insinuante, ses habitudes flatteuses, décelaient un homme infiniment plus avancé que ses compatriotes dans les voies de la civilisation, mais peut-être aussi de la perfidie. Tahofa était sans doute par sa bravoure le Napoléon ou l’Achille de ces parages, mais nous trouvâmes aussi en lui plus d’un rapport avec le sage Ulysse.

Dans l’état politique qui régissait alors Tonga, l’autorité suprême, partagée en apparence entre les trois chefs, se trouvait réellement réunie dans les seules mains de Tahofa. Lorsque les habitans de l’île eurent chassé la race antique de leurs rois, Palou, Lavaka et Tahofa furent conjointement investis de la souveraine puissance. Tahofa, doué de qualités guerrières, rendit au pays d’éminens services dans les combats, et dès-lors il s’éleva dans l’opinion des insulaires bien au-dessus de ses deux collègues, qui, à des goûts tout pacifiques, joignaient l’indolence et l’incapacité. Bien plus, par une politique qui dénote un degré peu commun d’intrigue et d’habileté, Tahofa, de-