Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 3.djvu/232

Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
VOYAGES.

Enfin, las de prier, impatient de me mettre en route, je voulus revoir le premier secrétaire d’ambassade, et tirer de lui quelque chose de positif ; il se fit céler ; mais un scribe subalterne, dépositaire de mon passeport, me le remit en me déclarant que Son Excellence ne pouvait le revêtir de son autorisation, attendu qu’un ordre de l’empereur lui-même lui faisait une loi d’interdire à tous les anciens militaires français l’entrée de ses États.

Cette déclaration venait un peu tard ; mon séjour en Russie devait être de plusieurs années, et loin d’imaginer qu’il dût m’arriver pareille aventure, j’avais pris des dispositions sur lesquelles il m’était impossible de revenir sans causer à ma fortune un préjudice considérable. Je partis donc avec l’espoir de surmonter les obstacles ; cette imprudence me coûta cher.

Jusqu’à la frontière polonaise, rien ne contraria mon voyage ; mais, arrivé là, un ordre absolu de l’autorité m’interdit d’aller plus loin. Mes prières furent vaines. J’allai me voir contraint de retourner sur mes pas, quand l’idée me vint d’essayer la puissance de signes maçonniques sur ceux qui me barraient le chemin ; j’en fus compris, et l’affaire changea de tournure. « Continuez votre voyage, me dit le chef de la douane polonaise ; je serais désespéré de nuire aux intérêts d’un frère, mais comme je trahis, pour vous servir, le devoir qui m’est imposé, ne me compromettez pas à Varsovie ! Si le grand-duc Constantin vous interroge, dites que vous avez perdu votre passeport, et ne lui avouez pas de ma part une complaisance qui m’exposerait à tout son courroux. »

Je promis, et tins parole, car il en fut ainsi que le frère l’avait prévu. Un accident favorisa d’abord le mensonge qu’il me fallait faire. Mon kibitk, conduit