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HISTOIRE. — PHILOSOPHIE.

païennes, l’Allemagne le fait pour le christianisme : elle accepte les croyances du moyen âge, à condition de les ériger en système et de les transformer en philosophie. Son catholicisme à elle, sans ajouter au nôtre aucun élément vivant de foi ni d’avenir, atteint plus loin dans le passé ; enveloppé des nuages de l’infini, il ouvre les portes de ses cathédrales aux traditions primitives qu’il va rechercher dans l’Inde, aux mythes des Scandinaves et des Druides, aux symboles de Schelling ; il ressuscite par le génie de Goerres tous les fantômes évanouis dans la pensée de l’homme ; et, quand chacun d’eux se remue sous les voûtes, il faut du temps pour reconnaître que ce sont des morts qui font ce bruit, et que pas un cœur vivant ne bat dans cette foule. Le protestantisme, refait par les dogmes de Spinosa, s’étend et, pour ainsi dire, se gonfle pour les renfermer sans se briser. C’est un effort constant et un travail qui sent la gêne, que de faire pénétrer l’infini de la philosophie actuelle dans les cellules et l’œuvre des réformateurs du xvie siècle. Schleiermacher consume à ce travail son habileté de lutteur. D’une autre part, à mesure que, par son esprit critique, la réforme se dévore elle-même, le mysticisme de Néander s’exalte, et a failli déjà ébranler tout le nord. En France, la pensée religieuse vient de faire deux efforts. Dans la bagarre des libertés nouvelles, elle a tenté de passer dans la foule avec son dogme antique, et à rentrer pêle-mêle dans l’État avec les flots du peuple ; ou bien, assez humble pour n’être qu’un pis-aller, dans un âge d’industrie elle s’est mise à adorer le dieu de l’industrie, un dieu qui, tristement et sans salaire, travaille et se lasse à fabriquer le monde, comme l’ouvrier dans son échoppe, pour vivre encore un jour, carde sa laine et fait bouillir le fer dans sa chaudière.